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11 novembre 2014 2 11 /11 /novembre /2014 17:27

01 Vox Luminis août 2014 (c) Robin H Davies

Vox Luminis (Lionel Meunier, Lisa Goldberg), août 2014
Photographie © Robin .H. Davies

 

Cher Guillaume,

 

Les semaines défilent à une vitesse folle, si bien que nous finirons par être à Noël avant que j'aie terminé de te raconter les concerts de cette fin d'été normande. Tu as raison de me rappeler ma promesse et je vais donc clore ma série de relations sur ce qui a représenté pour beaucoup, dont ton serviteur, l'apothéose de cette édition 2014 du festival de l'Académie Bach.

 

Je te laisse imaginer l'impatience qui était la mienne d'entendre en direct Vox Luminis, dont j'ai commencé très tôt à suivre le travail, avant que le succès mérité de son disque Schütz fasse de lui un des ensembles de musique ancienne qui comptent aujourd'hui ; peut-être te souviens-tu de l'entretien que son directeur musical, Lionel Meunier, m'avait accordé il y a maintenant quatre ans et qui montre, à la relecture, le trajet que ses musiciens et lui ont parcouru depuis. Je suis naturellement méfiant envers ces grandes attentes qui font naître tant d'espérances que tout occupés d'elles, nous ne nous apercevons pas qu'elles sont devenues si démesurées qu'elles risquent de nous laisser déçus.

J'ai eu la chance, là encore, d'assister aux répétitions du concert du soir et il ne m'a pas fallu très longtemps pour commencer à saisir ce qui fait de Vox Luminis un ensemble à part. 02 Vox Luminis août 2014 (c) Robin H DaviesIl y a, tout d'abord, un travail de fond sur le texte qui est au cœur même de sa démarche ; on reproche souvent à certains de ses confrères, parfois non sans raison, de faire preuve, sur ce point, d'une désinvolture qui affadit leurs propositions. Avec Lionel Meunier et ses chantres, le verbe s'incarne puissamment pour mieux venir toucher l'auditeur, qu'il le caresse ou le bouscule, et la musique est tout sauf une tapisserie joliment décorative que l'on regarde mollement en sirotant une tasse de thé tiède sur les coussins d'un salon douillet. Il y a ensuite des individualités remarquables à tous les pupitres, vocaux comme instrumentaux, qui savent mettre toute leur richesse technique et expressive au service du collectif, chacun ne cherchant pas à être meilleur que son voisin mais à chanter de la façon la plus libérée possible, sans autre contrainte que celles fixées par le compositeur sur sa partition. Ce qui impressionne, enfin, est l'unité qui existe entre des musiciens qui savent échanger et s'écouter mutuellement mais qui, une fois la ligne interprétative fixée, s'y tiennent avec une discipline et une conviction également remarquables.

Cette approche conjuguant souplesse et minutie (cette dernière regardant non seulement l'articulation du texte et de la musique, mais aussi l'acoustique) s'est révélée payante durant tout le concert qui proposait un parcours en compagnie de trois grands noms de la cantate germanique, Pachelbel, dont le trop célèbre Canon et Gigue est le chétif arbrisseau qui cache une forêt d’œuvres tout à fait dignes d'intérêt et qu'on ne se soucie hélas plus guère de mettre en valeur aujourd'hui, Buxtehude qui a, lui, retrouvé sa place éminente dans l'histoire de la musique et pas seulement parce qu'il fut l'un des modèles du troisième compositeur du programme, Johann Sebastian Bach. Le choix et l'agencement des différentes œuvres avaient été pensés avec beaucoup d'intelligence afin de ménager une progression dramatique de la jubilation tranquille 03 Vox Luminis août 2014 (c) Robin H Daviesde la cantate Was Gott tut, das ist wohlgetan de Pachelbel, une partition dans laquelle le choral joue un puissant rôle unificateur, aux climats contrastés de la partita sur le même thème, dont Bach se souviendra de la richesse d'invention (sa famille était liée à Pachelbel et on a retrouvé trois pièces d'orgue de son aîné copiées par ses soins), puis aux atmosphères plus méditatives du magnifique Christ lag in Todesbanden, qui constitue une des nombreuses preuves que l'inspiration du Cantor de Leipzig ne lui tombait pas du ciel, et des deux pièces de Buxtehude, une passacaille instrumentale suivie d'une vocale, ce Jesu meines Lebens Leben auquel son ostinato s'ouvrant sur ce symbole doloriste qu'est le tétracorde descendant apporte une mélancolie à la fois douce et poignante. À la fin de cette première partie, l'émotion était déjà telle que les bravos fusaient de partout, mais il faut dire que tant sur le plan instrumental – je pense qu'on entendra parler à nouveau de Jacek Kurzydło, premier violon au jeu techniquement impeccable et d'une sensibilité à la fois déliée et frémissante – que vocal, où sa cohésion, son expressivité sans maniérismes, en particulier du côté des contre-ténors dont l'absence d'afféterie m'a ravi, mais aussi la haute tenue des prestations solistes – Zsuzsi Tóth lumineuse comme à son habitude, Stefanie True d'un grand raffinement de timbre, la révélation ayant été, pour moi, Robert Buckland auquel son éloquence enflammée devrait logiquement valoir, demain, de tenir des rôles d'Évangéliste –, la très haute tenue de la prestation de Vox Luminis désarmait la critique, ma seule réserve touchant l'interprétation un rien trop timide des pièces d'orgue solistes par Marcin Szelest, par ailleurs continuiste attentif et pertinent.

Le second volet du concert, dédié à Bach, débutait dans la même atmosphère douloureuse sur laquelle le précédent s'était refermé avec celle que l'on pense être, si l'on admet son authenticité, la toute première cantate de Johann Sebastian, Nach dir, Herr, verlanget mich BWV 150, qui utilise déjà la tonalité de si mineur pour traduire l'imploration et s'achève sur une chaconne, une forme circulaire pour mieux signifier que le secours de Dieu ne fait jamais défaut au croyant pris dans les vicissitudes du quotidien ; dans cette œuvre comme dans Christ lag in Todesbanden BWV 718 pour orgue qui la suivait, on sent à quel point le musicien a été attentif à la leçon de Buxtehude et combien elle a laissé une empreinte indélébile sur son style. 04 Lionel Meunier Vox Luminis août 2014 (c) Robin H DaviesEn guise de finale, nous était proposée la brève et peut-être fragmentaire cantate Der Herr denket an uns BWV 196, sans doute composée pour un mariage et dans laquelle Bach opère une fusion séduisante entre éléments sacrés et profanes, une belle façon de prendre congé sur une note de douceur joyeuse.

J'avoue que j'étais curieux d'entendre ce que Vox Luminis pourrait offrir dans la musique du Cantor dans la mesure où, dans mon esprit, cet ensemble est principalement lié au XVIIe siècle. Que dire d'autre, sinon que mon bonheur a été complet tant les musiciens ont démontré d'intelligence de ce répertoire dont, à force de travail, ils ont compris l'essentiel des enjeux et des exigences, et qu'ils restituent avec une fluidité, un naturel, une science et une simplicité qui font mouche à chaque mesure. Je me suis même pris à rêver que leur interprétation qui me semble opérer une synthèse convaincante entre l'attention au verbe des anciens (Leonhardt et Harnoncourt), l'esthétisme de Herreweghe, la probité de Suzuki, l'impulsion dramatique et dansante de Gardiner, et la clarté des textures des tenants du « un chanteur par partie » (Pierlot, Kuijken...) puisse inciter leur maison de disques à leur confier sinon une intégrale, au moins une vaste anthologie des cantates.

 

J'attendais beaucoup ; j'ai été comblé. Ne trouves-tu pas, cher Guillaume, que ce sentiment d'accomplissement est ce que l'on peut rêver de mieux pour mettre un point final à ces quatre lettres ? J'espère que tu auras pris autant de plaisir à les parcourir que moi à les rédiger à ton intention, et surtout qu'elles t'auront donné l'envie de te rendre à ton tour en Normandie pour assister à l'édition 2015 du festival, dont je gage qu'elle sera riche de découvertes et d'émotions. Ce serait, en tout cas, un sincère plaisir de partager un bout de banc d'église avec toi.

 

Porte-toi bien et sois heureux.

 

Académie Bach 17e festival 20-23 08 2014Académie Bach d'Arques-la-Bataille, Festival de musique ancienne, samedi 23 août 2014, Église d'Arques-la-Bataille

 

Johann Pachelbel (1653-1706), Was Gott tut, das ist wohlgetan, cantate, Was Gott tut, das ist wohlgetan, partita, Christ lag in Todesbanden, cantate, Dietrich Buxtehude (1637-1707), Passacaille en ré mineur BuxWV 161, Jesu meines Lebens Leben cantate BuxWV 62, Johann Sebastian Bach (1685-1750), Nach dir, Herr, verlanget mich, cantate BWV 150, Christ lag in Todesbanden BWV 718, Der Herr denket an uns cantate BWV 196

 

Vox Luminis

 

Zsuzsi Tóth & Stefanie True, sopranos
Barnabás Hegyi & Jan Kullman, contre-ténors
Robert Buckland & Philippe Froeliger, ténors
Lionel Meunier & Hugo Oliveira, basses

 

Jacek Kurzydło & Annegret Hoffmann, violons
Antina Hugosson & Wendy Ruymen, altos
Anton Baba, violoncelle
Lisa Goldberg, basson
Joshua Cheatham, violone

 

Marcin Szelest, orgue (soliste & continuo)

 

Lionel Meunier, direction

 

Évocation musicale :

 

Johann Sebastian Bach, Der Herr denket an uns BWV 196

 

Vidéo enregistrée lors d'une répétition à la Bachkirche d'Arnstadt le 13 août 2014. Je remercie Lionel Meunier de m'avoir autorisé à l'utiliser.

 

Remerciements :

 

J'exprime toute ma reconnaissance pour la qualité et la simplicité de leur accueil à Jean-Paul Combet, qui a su faire de son Académie Bach, en dépit des vents contraires, un projet avec une véritable âme, et à Sarah Redin pour son attention discrète. Je remercie Robin .H. Davies pour ses superbes clichés et toute l'équipe des bénévoles pour sa disponibilité souriante.

 

Toutes les photographies illustrant cette chronique sont de Robin .H. Davies, utilisées avec sa permission. Toute utilisation sans l'autorisation de l'auteur est interdite.

 

2. Stefanie True, Jacek Kurzydło & Annegret Hoffmann
3. Annegret Hoffmann & Jacek Kurzydło
4. Lionel Meunier

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16 octobre 2014 4 16 /10 /octobre /2014 08:36

 

01 L'Armée des Romantiques 2014 Copyright Robin H Davies

L'Armée des Romantiques, août 2014
Photographie © Robin .H. Davies

 

Cher Guillaume,

 

Puisque tu as eu la gentillesse de me faire savoir, avec ta simplicité coutumière, que tu avais apprécié Autre Monde, motets et Rosaire, et que tu m'encourages à poursuivre le récit de mes impressions de l'édition 2014 du Festival de l'Académie Bach, je vais te conter une fin de soirée qui, mieux que merveilleuse, fut mémorable, et son lendemain qui aurait pu l'être tout autant si le sort ne s'était avisé à lui faire des crocs-en-jambe.

 

02 Girolamo Bottiglieri 2014 Copyright Robin H DaviesL'éblouissement commença dans l'après-midi du jeudi 21 août alors que je remontais le bas-côté d'une église d'Arques-la-Bataille toute baignée de lumière afin d'aller grappiller quelques miettes de répétitions. Passé le jubé, les notes de la Sonate pour violon et piano de César Franck qu'interprétaient deux musiciens que je ne faisais qu'entrevoir au travers de la clôture du chœur me saisirent et, en quelques secondes, me clouèrent littéralement sur place, la gorge nouée par l'émotion, les larmes au bord des yeux — et ceux qui me connaissent savent qu'il faut que je sois sacrément secoué pour que ce que je ressens transparaisse à l'extérieur. Je me mordis la lèvre et baissai le regard, tandis que chaque mesure avivait mon sentiment. J'étais arrivé dans les derniers moments de la répétition, mais le peu que j'avais entendu avait fiché en moi le désir impatient de vivre pleinement ce dont je n'avais eu qu'un aperçu, et c'est tout tendu d'espérance que je m'installai dans le chœur pour le concert de vingt-deux heures trente.

L'Armée des Romantiques est une formation à géométrie variable et elle fut ce soir-là tout d'abord duo, Girolamo Bottiglieri au violon – te souviens-tu de tout le bien que je t'ai dit jadis du Quatuor Terpsycordes après un de ses concerts à Ambronay ? Il en est le premier violon – et Rémy Cardinale sur son Érard millésimé 1895 dans la Sonate en la majeur. J'aurais aimé que tous ceux qui dédaignent la musique du vieux Franck, 03 Caroline Cohen-Adad Emmanuel Balssa 2014 Copyright Robinla trouvant qui un peu mièvre, qui trop convenue eussent été avec nous en ce moment précis pour entendre par eux-mêmes qu'elle ne l'est que lorsque les interprètes le sont. Car avec deux tempéraments comme ceux qui nous la restituaient dans toute sa fièvre, avec tous les frémissements qui lui parcourent l'âme, tantôt rêveurs (les arabesques mouvantes du Recitativo-fantasia), tantôt rageurs (les éclats acérés du deuxième mouvement), toujours à fleur de peau, la tiédeur en fut irrémédiablement pour ses frais. Rémy Cardinale l'avoue lui-même, son jeu au piano est physique et il est vrai qu'une fois lancé, il ne desserre plus une étreinte qui, pour être capable de faire surgir un riche nuancier qui va du rugissement au murmure, est d'une vigueur assez enivrante pour peu que l'on accepte le pacte qu'il nous propose ; en Girolamo Bottiglieri, il a trouvé un partenaire – frère autant qu'adversaire – à sa mesure, avec la même conception charnelle du son, la même recherche d'expressivité, la même propension à « mettre le feu » aux œuvres. Ce duo, dans une partition comme la Sonate qui traite ses deux protagonistes sur un pied d'égalité, a trouvé d'emblée le ton juste et le souffle nécessaire pour l'animer d'un bout à l'autre, réussissant à conjuguer énergie séminale et attention portée aux détails et aux couleurs.

Après tant d'ardeur, les pièces pour harmonium ont paru un rien palotes, malgré l'investissement et la maîtrise déployés par un Marc Meisel décidément plein de ressources, mais passés les quatre morceaux de circonstance, une nouvelle vague d'émotion allait s'emparer de nous avec une interprétation magistrale du Prélude, fugue et variation en si mineur dans sa version originale pour harmonium et piano ; tonalité et forme cyclique obligent, et en dépit d'un épisode central plus animé, cette page est d'une indicible mélancolie que le jeune organiste et Rémy Cardinale ont su restituer avec une sensibilité et une science du clair-obscur admirables. En guise de bouquet final, nous était offert le Quintette pour piano et cordes en fa mineur, une page qui, à l'instar de la Symphonie en ré mineur, s'éclaire progressivement pour finir sur une note de délivrance. 04 Raya Raytcheva Rémy Cardinale 2014 Copyright Robin H DaAu complet, les duettistes de la Sonate ayant été rejoints par Raya Raytcheva au second violon, Caroline Cohen-Adad à l'alto et Emmanuel Balssa au violoncelle, l'Armée des Romantiques nous a entraînés à sa suite au cœur du feu sombre qui nimbe le premier mouvement de lueurs parfois tragiques et fait chavirer dans le Quasi Lento, cette prière élégiaque et passionnée dans laquelle Franck se révèle étonnamment proche de Fauré et dont les couleurs ne m'avaient jamais semblé aussi belles, puis ce fut la folle envolée de l'Allegro non troppo final dont le ma con fuoco prend toute sa dimension lorsque des musiciens de cette trempe s'en emparent. Il est de bon ton de ricaner, dans certains cercles prétendûment autorisés, lorsque des interprètes jouent les œuvres de la fin du XIXe voire du début du XXe siècle sur les instruments pour lesquels elle ont été conçues ; on a sans doute raison quand cette vision demeure purement archéologique, mais lorsque ce sont d'authentiques musiciens qui sont aux commandes et que l'historicisme devient un des moyens pour accéder à un degré d'émotion supérieur en offrant des couleurs et des nuances que les si parfaits instruments modernes sont incapables d'apporter, la sensation que l'on éprouve s'approche du vertige. C'était la mienne ce soir-là et j'aurais beaucoup donné pour que des micros aient pu immortaliser un moment comme celui que nous venions de vivre et qui m'a permis de redécouvrir complètement des pages que je connais pourtant bien pour les écouter souvent. Alors, qui sait, peut-être qu'un jour un label discographique sera assez téméraire pour offrir à ces lectures la pérennité qu'elles méritent.

Il me faut dire un mot également du concert qui eut lieu le lendemain soir, cette fois-ci autour de Maurice Ravel. Il ne fut hélas pas du même niveau que son prédécesseur franckiste car, outre un peu de fatigue bien compréhensible compte tenu de la débauche d'énergie de la veille, le piano montra des signes de faiblesse dont la méchante fissure qui en était à l'origine ne fut découverte que le lendemain — l'intérêt de l'ancien réside aussi dans son caractère imprévisible. Quand on sait, outre la précision technique diabolique qu'il requiert, l'importance du coloris dans un cycle comme Gaspard de la Nuit, on comprend sans mal que Rémy Cardinale ait été, en dépit de son engagement de tous les instants, déstabilisé par ces quelques cordes qui se mettaient à zinguer et obéraient la poésie subtile minutieusement élaborée par Ravel. Dans le Trio pour piano, l'investissement de Girolamo Bottiglieri et d'Emmanuel Balssa, 05 Rémy Cardinale 2014 Copyright Robin H Daviesl'un plein de feu comme à son habitude, l'autre jouant la carte d'une sobriété raffinée, a permis de faire passer au second plan ces ennuis mécaniques, d'autant que la lecture proposée ne manquait ni d'allure, ni de délicatesse. Jamais, pour ma part, je n'ai aussi clairement entendu à quel point le Modéré initial de ce Trio est à la fois un hommage et un congé au « vieux monde » de Fauré (et mon désir de découvrir la vision que l'Armée des Romantiques pourrait proposer de ce compositeur qui m'est cher entre tous est devenu très vif), et j'ai été également très séduit par le recueillement noble et sans aucune lourdeur – comme quoi, des cordes en boyau et un vibrato qui, tout en étant présent, ne s'autorise ni surcharge, ni coulure peuvent faire une sensible différence – de la Passacaille, qui devenait pour le coup réellement émouvante, tout comme par l'emportement avec lequel a été enlevé le Finale, sur lequel soufflaient véritablement les bourrasques d'indépendance que Ravel y a mis. Entre ces deux parties instrumentales, l'Ensemble vocal Bergamasque, dont je t'ai déjà écrit le bien que j'en pensais, à offert de Nicolette, Trois beaux oiseaux du Paradis et Ronde, des chansons chorales au cœur souvent inquiet, une interprétation d'une grande lisibilité et d'une intelligence du texte certaine où la solidité de l'ensemble compensait des voix solistes manquant encore d'assurance — laissons-leur le temps de s'aguerrir.

 

Vois-tu, cher Guillaume, même si le second concert n'a pas, soyons honnête, renouvelé le miracle de celui de la veille, le fait qu'un public nombreux soit venu les écouter tous deux et leur ait fait fête me réjouit, car il démontre que l'Académie Bach a indubitablement raison d'élargir ses horizons au-delà de la musique baroque tout en ne perdant pas de vue son fil de défense et d'illustration d'une pratique musicale « historiquement informée » qui, bien comprise comme ce fut le cas avec l'Armée des Romantiques dont il est incompréhensible, à mes yeux, que le travail ne soit pas plus reconnu et soutenu quand tant d'ensembles nettement moins pertinents voient s'ouvrir devant eux les opportunités juteuses que la brigue procure, peut nous donner des clés de compréhension mais aussi d'émotion qui nous étaient inaccessibles jusqu'ici. J'espère que les programmations à venir continueront à œuvrer dans ce sens et à promouvoir cette belle musique romantique française au fond si peu prophétesse en son pays. Pour ma part, je garderai, je crois, longtemps gravé en moi le souvenir d'un Franck comme un feu dévorant qui brûle au fond du chœur.

 

Porte-toi bien et sois heureux.
A bientôt.

 

Académie Bach 17e festival 20-23 08 2014Académie Bach d'Arques-la-Bataille, Festival de musique ancienne, édition 2014

 

L'Armée des Romantiques
Girolamo Bottiglieri, violon
Raya Raytcheva, violon
Caroline Cohen-Adad, alto
Emmanuel Balssa, violoncelle
Rémy Cardinale, piano Érard 1895

 

1. Jeudi 21 août 2014, Église d'Arques-la-Bataille : César Franck (1822-1890)

 

Sonate pour violon et piano en la majeur FWV 8

 

Pièces pour harmonium* : Offertoire funèbre, Offertoire, Andantino quasi allegretto, Offertoire ou communion

 

Prélude, fugue et variation en si mineur pour harmonium et piano op.18 FWV 30*

 

Quintette pour piano et cordes en fa mineur FWV 7

 

*Marc Meisel, harmonium Alexandre 1855

 

2. Vendredi 22 août 2014, Église d'Arques-la-Bataille : Maurice Ravel (1875-1937)

 

Gaspard de la nuit, trois poèmes pour piano d'après Aloysius Bertrand

 

Trois chansons pour chœur* : Nicolette, Trois beaux oiseaux du Paradis, Ronde

 

Trio pour piano, violon et violoncelle en la mineur

 

*Ensemble vocal Bergamasque
Marine Fribourg, direction

 

Évocation musicale :

 

1. César Franck, Prélude, fugue et variation en si mineur pour harmonium et piano op.18 FWV 30

 

Joris Verdin, harmonium
Jos Van Immerseel, piano Érard 1850

 

César Franck L'œuvre d'harmonium Joris VerdinL’œuvre d'harmonium. 2 CD Ricercar RIC 213. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien ou au format numérique sur Qobuz.com.

 

2. Maurice Ravel, Trio pour piano, violon et violoncelle en la mineur : [I] Modéré

 

The Florestan Trio
Anthony Marwood, violon
Richard Lester, violoncelle
Susan Thomes, piano

 

Debussy Ravel Fauré Trios avec piano The Florestan TrioTrois Trios français (Fauré, Debussy, Ravel). 1 CD Hyperion CDA67114. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien ou au format numérique sur Qobuz.com.

 

Toutes les photographies illustrant cette chronique sont de Robin .H. Davies, utilisées avec sa permission. Toute utilisation sans l'autorisation de l'auteur est interdite.

 

2. Girolamo Bottiglieri

3. Caroline Cohen-Adad & Emmanuel Balssa

4. Raya Raytcheva & Rémy Cardinale

5. Rémy Cardinale

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5 octobre 2014 7 05 /10 /octobre /2014 08:58

 

01 Les Lunaisiens & Benjamin Alard août 2014

Les Lunaisiens (Jean-François Novelli et Arnaud Marzorati),
Benjamin Alard, août 2014
Photographie © Robin .H. Davies

 

Cher Guillaume,

 

J'aurais souhaité t'écrire plus tôt, mais je ne prévoyais pas que la mort de Christopher Hogwood viendrait ralentir nos échanges ; tu sais que j'ai toujours trouvé très intéressant le travail de ce musicien et je m'en serais voulu de lui rendre un hommage qui se résume à un enfilage de mondanités. Ce délai t'aura au moins permis de prendre tout ton temps pour me lire sur L'Autre Monde et, je l'espère, pour rêver un peu à ce spectacle avant d'en découvrir la captation. Je voudrais t'entretenir aujourd'hui des deux réalisations les plus audacieuses de cette édition 2014 du festival de l'Académie Bach d'Arques-la-Bataille, des projets que permettent la volonté pédagogique et l'exigence de cette manifestation et qui seraient sans doute plus difficilement réalisables ailleurs.

L'une consistait en une série de trois concerts visant à illustrer les métamorphoses du motet, ce genre né au XIIe siècle qui va perdurer au moins jusqu'à Brahms et dont l'étymologie même du nom indique que l'illustration du mot est ce qui le fonde. Les deux premiers concerts documentaient l'époque baroque, côté germanique puis français, et avaient été confiés aux Lunaisiens, assez inattendus dans ce répertoire, et le dernier, dédié à l'Allemagne romantique, à l'Ensemble vocal Bergamasque, rejoint par un Érard joué à quatre mains par Rémy Cardinale et Fréderic Rouillon et des timbales résonant sous les mailloches de Philippe Bajard pour un bouquet final de toute beauté — mais n'anticipons pas.

02 Les Lunaisiens & Marc Meisel août 2014Le fil qui reliait les volets de ce triptyque était l'orgue, les deux instruments utilisés étant celui, de facture moderne mais d'esthétique résolument baroque, de l'Église d'Arques-la-Bataille et celui, historique, de Saint-Rémy de Dieppe, construit par Claude Parisot et achevé en 1739, un véritable bijou serti dans un vaisseau de pierre si négligé par les autorités municipales que le spectacle qu'offre l'édifice emplit de honte. Quel crève-cœur en effet, pour tout amoureux du patrimoine, que ces pierres salies de pollution, de mousses ou rendues si friables qu'elles menacent en certains endroits de se disjoindre et sur lesquelles la végétation commence à pousser sans que personne se soucie de l'en déloger, quelle pitié que cette nef amputée. Passons, mais pas sans le relever. Ces magnifiques instruments étaient touchés par deux jeunes musiciens au tempérament bien différent mais également talentueux, Benjamin Alard et Marc Meisel. Le premier est aujourd'hui bien connu pour ses interprétations de la musique de Johann Sebastian Bach, dont certaines ont connu les honneurs du disque, et comme les Chorals de Leipzig ont dominé le parcours baroque – je t'avoue que même si c'est toujours un plaisir d'entendre les œuvres du Cantor, pour lequel tu sais mon attachement, j'aurais aimé que le programme français inclût des pièces d'orgue dont notre pays n'est pas pauvre –, il était sur ses terres d'élection. Il s'en est donné à cœur joie, faisant fleurir les ornements sans qu'ils deviennent envahissants et mettent en péril une polyphonie qu'il a d'ailleurs parfaitement restituée, n'hésitant pas à faire danser ces vastes structures et à les teinter parfois d'une élégance, d'une distinction toutes françaises. La renommée de Marc Meisel est moindre ce qui ne l'empêche pas de collaborer avec des orchestres en vue comme Les Siècles ou Capriccio Basel, et il n'a, à mon avis, rien à envier à son camarade, en particulier en termes de conduite du discours musical qu'il sait tenir avec fermeté et animer avec inventivité. Il me semble privilégier une approche fondée plus sur l'intériorité, voire sur un certain intimisme, que sur le brillant, une esthétique de chapelle plus que de cathédrale, si l'image te parle ; cette relative discrétion ne l'a cependant pas empêché de faire montre de puissance quand telle ou telle pièce l'exigeait. Finalement, le choix de deux organistes au caractère si complémentaire s'est révélé payant et nous a permis d'entendre la musique de Bach dans toutes ses dimensions, de la plus fantasque à la plus recueillie. J'ai été un peu moins convaincu par les incursions dans le domaine romantique, hormis Mendelssohn, mais l'orgue d'Arques-la-Bataille n'est peut-être tout simplement pas le plus adéquat pour le répertoire d'après 1850.

03 Les Lunaisiens août 2014Comme je te l'écrivais un peu plus haut, le choix d'un ensemble comme Les Lunaisiens, qui s'illustre plutôt dans le domaine profane, pour interpréter des pièces sacrées m'a quelque peu surpris. Force est cependant de constater qu'il les a servies de fort belle façon, même si on a pu relever ici et là quelques inégalités inhérentes au concert et à la sollicitation répétée des voix (trois concerts en deux jours, sans compter les répétitions, ce n'est pas rien), dont le point faible était un contre-ténor trop limité en termes de projection et de tempérament. J'ai particulièrement apprécié la lecture très soucieuse d'unité et de fluidité du vaste motet Jesu meine Freude de Bach père proposée par ces musiciens inspirés ainsi que leur aisance dans Danielis et Charpentier, que tous ont fréquenté au sein d'autres ensembles. L'acoustique de Saint-Rémy de Dieppe n'a, semble-t-il, pas facilité la meilleure cohésion entre les différents pupitres et on a pu noter ici et là quelques décalages ou traits incertains, en particulier du côté des sopranos, qui n'apparaissaient pas à Arques-la-Bataille ; ces approximations passagères n'ont cependant pas gâché notre plaisir et la suavité, la tendresse attendues d'un Adoro te ou d'un Transfige dulcissime Jesu étaient bien au rendez-vous, tout comme la solennité paisible, servie avec beaucoup de classe par les messieurs, du Magnificat H 73, une de ces compositions sur basse obstinée qui restent longtemps en tête. Il faut noter aussi que les deux organistes qui se sont relayés à la tribune ont été de parfais continuistes, ce qui fait d'autant plus regretter que tant d'enregistrements soient toujours réalisés avec des positifs si pauvres en couleurs et en ampleur.

04 Ensemble vocal Bergamasque Rémy Cardinale août 2014

Ensemble vocal Bergamasque, Marine Fribourg
Rémy Cardinale & Frédéric Rouillon
Photographie © Robin .H. Davies

 

La quiétude et le soleil qui baignaient Arques-la-Bataille donnaient au samedi l'air d'un beau dimanche et je ne me suis pas installé dans l'église sans me dire un court moment que je m'apprêtais à assister à l'office. Le programme de cet ultime concert de onze heures était large, de Bach à Wolf en passant par Mendelssohn, Brahms et Bruckner. Si les pièces d'orgue, comme je te l'ai dit, m'ont un peu laissé sur ma faim, tel n'a pas été le cas de la prestation de l'Ensemble vocal Bergamasque, dirigé avec beaucoup d'énergie par Marine Fribourg. 05 Ensemble vocal Bergamasque Rémy Cardinale août 2014J'ai eu la chance d'assister à ses répétitions et j'ai trouvé particulièrement remarquable l'exigence de cette jeune chef quant au rendu du texte chanté, son opiniâtreté à revenir inlassablement sur le même passage jusqu'à obtenir la qualité de son et l'éloquence qu'elle forme dans son esprit, sa détermination souriante. Est-ce le résultat de l'enseignement de Frieder Bernius, mais elle me semble assez naturellement à l'aise dans le répertoire romantique et capable, donc, d'y entraîner ses chanteurs avec pertinence et enthousiasme. Bergamasque a montré, à chacune de ses interventions, une sonorité d'ensemble tout à fait séduisante, trouvant un bel équilibre entre transparence et densité, mais si je ne devais en retenir que deux, ce seraient assurément Richte mich, Gott de Mendelssohn, dont la poésie nocturne a été parfaitement comprise et restituée, faisant passer le frisson qui traverse les tableaux de Dahl, et « Denn alles Fleisch, es ist wie Gras », extrait d'Ein deusches Requiem de Brahms dans sa version de Londres, due au compositeur, pour piano à quatre mains ici rejoint par des timbales. Le meilleur compliment que je puisse faire à cette lecture est qu'elle ne m'a pas fait regretter un instant la version avec orchestre, que j'aime pourtant beaucoup, tant je l'ai trouvée expressive de ton et raffinée dans ses nuances ; il faut dire que Rémy Cardinale, dont je te reparlerai bientôt, est un passionné qui a une propension à mettre le feu à son clavier et qu'il a entraîné à sa suite tant son partenaire, Frédéric Rouillon, que le timbalier Philippe Bajard, dont il faut louer la parfaite précision des interventions. 06 Philippe Bajard août 2014Tous ces musiciens se sont visiblement trouvés et devant l'excellent résultat, on se plaît à imaginer des collaborations futures, pourquoi pas dans Schubert, qui a laissé un certain nombre d'œuvres pour chœur et piano.

Pour finir, je dois te préciser que ces trois concerts étaient gratuits, offrant donc la possibilité à qui le souhaitait de pouvoir jouir, sans bourse délier, de plus de trois heures de musique aussi superbe que nourrissante. Une des images que je conserve est celle de l'église Saint-Rémy à la grandeur masquée par le manteau hideux du délabrement : lorsque je me levai de mon banc après les applaudissements, je vis, en me retournant, que le chœur était plein d'un public de tout âge et de toute condition, jeunes, vieux, touristes, familles, certains debout, d'autre assis autour de l'autel et qui tous étaient venus écouter un peu de musique avant de reprendre le cours de leur existence. N'y a-t-il pas meilleure illustration de ce que peut être la communion ?

07 Hélène Schmitt août 2014

Hélène Schmitt, août 2014
Photographie © Robin .H. Davies

 

L'autre « folie » de cette édition 2014 était de proposer en deux fois, le jour d'ouverture et de clôture du festival à 22 heures 30, l'intégralité des Sonates du Rosaire de Biber, ce recueil complexe et mystérieux auquel la majorité des violonistes baroques rêve un jour de se confronter, ce qui a donné, au disque, quelques lectures mémorables signées, entre autres, par Reinhard Goebel, Gunar Letzbor ou Alice Piérot. Ces deux concerts voyaient Hélène Schmitt, une musicienne que j'apprécie au point d'avoir acheté tous ses disques parus chez Alpha, lesquels m'ont d'ailleurs rarement déçu, les affronter, accompagnée par une petite équipe de continuo (orgue ou clavecin, théorbe, violone ou viole de gambe), dont certains membres assuraient des ponctuations entre deux groupes de sonates en interprétant qui une toccata, qui une pièce de caractère, qui une sonate écrite pour son instrument.

Une telle entreprise, dont il faut saluer le courage, soulève plusieurs questions. La première est celle de programmer à une heure aussi tardive et après un premier concert, une œuvre aussi dense et exigeante pour l'auditeur, même le mieux disposé, la seconde étant celle des moyens, car si le disque autorise sans peine de n'utiliser que deux violons, la pratique de la scordature rend cette option particulièrement périlleuse au concert, surtout quand les conditions matérielles (variations de température et d'hygrométrie) ne sont pas idéales. Nous sommes donc passés par tous les états possibles durant ces presque trois heures, de l'éblouissement lorsque le violon tenait l'accord et permettait à Hélène Schmitt de déployer l'impeccable netteté de trait, 08 Massimo Moscardo Hélène Schmitt août 2014l'autorité et la générosité si naturelles chez elle, à la confusion quand la lutte avec l'instrument devenait si intense qu'elle crispait le geste et finissait par prendre le pas sur tout le reste ; on souffrait alors avec la musicienne, dont l'expérience et le talent n'ont parfois pas été de trop pour tenter de circonscrire ces problèmes. Ces fluctuations, dont je pense qu'elles étaient difficilement évitables, sont apparues d'autant plus regrettables qu'il est absolument évident que, comme à son habitude, Hélène Schmitt a pris le temps de mûrir son interprétation et d'investir ces sonates par un intense travail de réflexion personnelle, ce qui met son approche à des lieues des propositions standardisées ou d'une « modernité » un peu creuse qui ont parfois cours. Sa lecture à la fois flamboyante et fervente atteste qu'elle a particulièrement bien saisi la diversité d'un recueil qui est à la fois une démonstration de savoir-faire non exempte, loin de là, de narcissisme et un livre d'heures musical dont chaque pièce doit susciter méditation et émotion devant les principales étapes de la vie de Jésus et la Vierge Marie. Il faut également souligner les qualités du continuo, discret mais visiblement lié par une authentique complicité et attentif à bien colorer le discours tout en en assurant la relance et l'avancée. Au bout de ce parcours parfois chaotique mais toujours touchant, la Passacaille dite « de L'Ange gardien » à cause de la vignette qui l'orne dans le manuscrit et sur laquelle se referment les Sonates du Rosaire a été un moment de grâce absolue dont le frémissement me parcourt encore en m'en ressouvenant. La violoniste était seule devant nous, l'âme se dénudant un peu plus à chaque nouvelle volte convoquée par son archet, et il émanait de cette élévation progressive quelque chose d'à la fois intensément lumineux et d'étreignant qui a laissé le public muet d'admiration durant de longues secondes après le dernier accord. On a quelquefois voulu voir dans ce recueil des choses qui n'y sont probablement pas, mais si alchimie il doit contenir, elle est devenue tangible et miraculeuse aux yeux de tous durant ces ultimes minutes.

Veux-tu une bonne nouvelle avant que je relise cette lettre et qu'elle parte vers toi ? Au début du mois de septembre, quelques jours, donc, après ces concerts, Hélène Schmitt et ses compagnons ont pris la direction de l'Allemagne pour aller y graver ces Sonates du Rosaire et il ne fait guère de doute à mes yeux que ce disque, à paraître chez Æolus, est appelé, sauf accident, à faire partie de ceux qui comptent.

 

Porte-toi bien et sois heureux.

A bientôt.

 

Académie Bach 17e festival 20-23 08 2014Académie Bach d'Arques-la-Bataille, Festival de musique ancienne, édition 2014

 

Le Mot et le Verbe —Parcours sur le motet en trois concerts

 

Benjamin Alard & Marc Meisel, orgue Michel Giroud (1997) de l'Église Notre-Dame d'Arques-la-Bataille et orgue Claude Parisot (1739) de l'Église Saint-Rémy de Dieppe

 

I. Jeudi 21 août 2014, Église d'Arques-la-Bataille : Allemagne baroque

 

Johann Sebastian Bach (1685-1750), Nun komm der Heiden Heiland BWV 659, Trio super Nun komm der Heiden Heiland BWV 660, Nun komm der Heiden Heiland BWV 661, An Wasserflüssen Babylon BWV 653, Jesus Christus, unser Heiland BWV 665, Jesus Christus, unser Heiland (alio modo) BWV 666, Jesu meine Freude BWV 227, Von deinen Thron tret' ich BWV 668

 

Les Lunaisiens
Cécile Granger & Karine Séraphin, dessus
Paul Figuier, contre-ténor
Jean-François Novelli, ténor
Arnaud Marzorati, basse

 

II. Vendredi 22 août 2014, Église Saint-Rémy de Dieppe : France baroque

 

Johann Sebastian Bach, Himmelskönig, sei willkommen BWV 182 : Sonata, Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Magnificat H 73, Johann Sebastian Bach, Allein Gott sei in der Hoh' sei Ehr' BWV 663, Trio super Allein Gott sei in der Hoh' sei Ehr' BWV 664, Daniel Danielis (1635-1696), Adoro te, Jesu mi suavissime, Johann Sebastian Bach, Fantasia BWV 562, O Lamm Gottes, unschuldig BWV 656, Marc-Antoine Charpentier, Transfige dulcissime Jesu H 251

 

Les Lunaisiens

 

III. Samedi 23 août 2014, Église d'Arques-la-Bataille : Allemagne romantique

 

Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847), 6eSonate pour orgue, Johann Sebastian Bach, Schmücke dich, o liebe Seele BWV 654, Anton Bruckner (1824-1896), Christus factus est, Hugo Wolf (1860-1903), Resignation, Felix Mendelssohn-Bartholdy, Richte mich, Gott op. 78 n°2 (version révisée), Johannes Brahms (1833-1897), Onze Préludes de Chorals (extraits), Ein deutches Requiem op. 45 (version de Londres) : Denn alles Fleisch, es ist wie Gras*

 

Ensemble vocal Bergamasque
Marine Fribourg, direction

 

*Rémy Cardinale & Frédéric Rouillon, piano Érard 1895 à quatre mains
Philippe Bajard, timbales

 

Mercredi 20 août et samedi 23 août 2014, Église d'Arques-la-Bataille

 

Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704), Les Sonates du Rosaire

 

Hélène Schmitt, violon
François Guerrier, orgue & clavecin
Massimo Moscardo, théorbe
Jan Krigovski, violone
Francisco Manalich, viole de gambe

 

Évocation musicale :

 

1. Johann Sebastian Bach (1685-1750), Jesus Christus, unser Heiland BWV 665

 

Ewald Kooiman, orgue Johann Andreas Silbermann (1778) du Temple protestant de Bouxwiller (Bas-Rhin, Alsace)

 

Johann Sebastian Bach Complete organ works ÆolusL'Œuvre complet pour orgue. 19 SACD Æolus AE-10761. Ce coffret peut être acheté en suivant ce lien.

 

2. Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Magnificat H 73

 

Serge Goubioud, haute-contre
Robert Getchell, taille
Jean-Louis Georgel, basse
Le Parlement de Musique
Martin Gester, direction

 

Marc-Antoine Charpentier Pastorale Martin GesterPastorale sur la naissance de Notre Seigneur, 1 CD Accord 205822. Indisponible.

 

3. Johannes Brahms (1833-1897), Ein deutsches Requiem op. 45 (version de Londres) :
II. Denn alles Fleisch, es ist wie Gras
Langsam, marschmäßigUn poco sostenutoAllegro non troppo

 

Chorus Musicus Köln
Andreas Grau & Götz Schumacher, pianoforte Julius Blüthner, Leipzig, 1853-55
Christoph Spering, direction

 

Johannes Brahms Ein deutsches Requiem Christoph SperingEin deutsches Requiem. 1 CD Opus 111 OPS 30-140. Indisponible

 

4. Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704), Les Sonates du Rosaire :
XVI.  Passacaille (« L'Ange gardien »)

 

Les Veilleurs de Nuit
Marianne Muller, viole de gambe
Pascal Monteilhet, théorbe
Élisabeth Geiger, clavorganum
Alice Piérot, violon & direction

 

HIF Biber Sonates du Rosaire Veilleurs de nuit Alice PiéroLes Sonates du Rosaire. 1 double disque Alpha 038 qui peut être acheté en suivant ce lien.

 

Toutes les photographies illustrant cette chronique sont de Robin .H. Davies, utilisées avec sa permission. Toute utilisation sans l'autorisation de l'auteur est interdite.

 

2. Marc Meisel et Les Lunaisiens

3. Les Lunaisiens

5. Ensemble vocal Bergamasque, Marine Fribourg, Rémy Cardinale & Frédéric Rouillon

6. Philippe Bajard

8. Massimo Moscardo, Hélène Schmitt

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25 septembre 2014 4 25 /09 /septembre /2014 12:04

 

01 L'Autre Monde Arques 2014 Copyright Robin H Davies

Benjamin Lazar, août 2014
Photographie de Robin .H. Davies

 

Cher Guillaume,

 

Je te remercie pour ta lettre que j'ai trouvée à mon retour du festival de l'Académie Bach d'Arques-la-Bataille, mais à laquelle je ne peux répondre qu'aujourd'hui, pris que je suis dans le tourbillon de la rentrée que l'on connaît par cœur mais qui nous surprend pourtant toujours. Je ne pensais pas que tu te souviendrais que je m'étais accordé cette escapade musicale et encore moins que tu solliciterais que je te la raconte. De fait, tu me lances un sacré défi en m'invitant à t'y entraîner à la seule force des mots, moi qui ne suis ni conteur, ni poète, mais je veux bien m'y essayer, comptant sur ton amicale indulgence pour pardonner mes faiblesses de plume. Afin de rendre ta lecture plus légère, je vais confier mes impressions à plusieurs lettres, postant chacune lorsque je l'aurai achevée ; tu auras ainsi, si tu le souhaites, le temps de rêver entre deux missives.

Au soir de mon arrivée, le mercredi 20 août, se donnait un spectacle dont je ne connaissais, jusqu'alors, que l'enregistrement discographique et quelques photographies entrevues ici et là ; L'Autre Monde, d'après le texte de Savinien Cyrano de Bergerac, fêtait le dixième anniversaire de sa création en revenant sur les terres qui l'avaient vu éclore. Qui aurait pu prédire que cette folle aventure, tournant obstinément le dos au clinquant et au papillonnage de notre époque, connaîtrait un si franc succès qu'il la parerait d'une auréole presque légendaire ? La complicité qui unit le comédien Benjamin Lazar et les musiciens de La Rêveuse – Florence Bolton et ses deux violes, Benjamin Perrot aux luth, théorbe et guitare baroques – n'a pas été érodée par l'accumulation des représentations, au contraire : elle n'a fait que s'affirmer dans le même temps que le spectacle trouvait son souffle et gagnait en densité, en fluidité, en éloquence. Dès les premières minutes, alors qu'il fait sombre encore, l'énergie de ce trio qui ne va cesser de se répondre durant l'heure et demie à venir, car si la parole règne ici en maîtresse, la musique, 02 L'Autre Monde Arques 2014 Copyright Robin H Daviescet autre langage dont le texte de Cyrano nous apprend que les plus instruits des habitants de la Lune l'utilisent pour communiquer entre eux, n'est jamais réduite, hormis quelques exceptions tantôt poétiques, tantôt cocasses, à un rôle d'illustration, le choix minutieux et éclairé de pièces opéré par La Rêveuse venant soutenir ou commenter l'action, est évidente et entraîne le spectateur dans le monde tour à tour onirique ou sarcastique jusqu'à l'irrévérence imaginé par l'auteur. Comme je sais que tu connais tes lettres, je ne te ferai pas l'affront de te narrer par le menu cette invraisemblable histoire de voyage au royaume de la Lune, où les humbles se trémoussent pour communiquer, où l'on se nourrit de fumées, où les anciens doivent le respect aux plus jeunes, mais qui, malgré la sensation d'étrangeté que l'on éprouve en le parcourant, ressemble tant au terrestre en ses travers, puisque l'étranger y est regardé, traité comme une bête et volontiers réduit en esclavage, ou que l'arbitraire religieux y impose sa loi prompte à condamner à mort les suspects d'hétérodoxie. L'Autre Monde est un texte paradoxal, à la fois cohérent et décousu, subtil, incisif, tendre, ardent et fourmillant de séductions qui ont le goût enivrant du danger. Imagine un peu, dans un XVIIe siècle encore tout imprégné des élans de la Contre-Réforme, combien un ouvrage qui prend ouvertement le parti de Kepler, Copernic ou Cardan, et évoque, entre autres et à mots à peine couverts, l'homosexualité et l'athéisme, pouvait sentir le fagot !

Ces mots, si brillants, si piquants soient-ils, ne toucheraient pas le public d'aujourd'hui avec autant de force s'ils n'étaient servis par des artistes de la trempe de Benjamin Lazar et La Rêveuse, dont il faut souligner le travail commun d'appropriation et de mise en valeur du récit. Le premier déploie un art consommé de la comédie qui force d'autant plus le respect qu'il repose sur une attention amoureusement portée à un texte scruté dans ses moindres inflexions, une qualité qui n'est pas si courante qu'on l'imagine, et restitué avec un sens de la nuance, une tension qui ne s'embarrasse, pour nous saisir, d'aucune surenchère pas plus qu'elle ne connaît d'affadissement. Benjamin Lazar est un funambule du verbe et du geste qui sait susciter chez qui l'écoute un éventail de passions sans cesse renouvelées dont les plus troublantes sont sans doute celles où l'on balance entre rire et gravité, 03 L'Autre Monde Arques 2014 Copyright Robin H Daviescomme cette apologie du chou dont la goguenardise masque une certaine mélancolie, et les plus vertigineuses ces moments où les mots se lèvent et enflent comme une vague que l'éloquence alimente sans cesse et qui finit par vous emporter dans son tourbillon. Pareille fête serait incomplète sans la participation active des deux compères de La Rêveuse, parfaitement maîtres de leur sujet et prenant un plaisir audible à donner la réplique, à leur manière, au comédien. Leur prestation a été pleine et espiègle, toujours chaleureuse et précise ; il est profondément rassérénant de constater que pour ces deux excellents musiciens, dont tu sais que je suis le parcours avec attention depuis longtemps, il n'est pas de petites pièces et que leur investissement pour donner le meilleur d'eux-mêmes est identique qu'il s'agisse d'évoquer une ascension rendue possible grâce à des fioles emplies de rosée ou de faire sourdre la nostalgie qui hante les Couplets de Sainte Colombe ou la vigoureuse joie d'une Jig publiée par Playford.

Bien sûr, de plus savants que moi seraient prompts à démontrer que cet Autre Monde tel qu'il nous est présenté ne rend pas compte avec toute l'exactitude scientifique souhaitable de la déclamation du XVIIe siècle et sans doute ont-ils, de leur point de vue, raison. Toujours est-il que si l'on réserve pour les spécialistes les arguties archéologiques et que l'on s'en tient au spectacle, il n'est pas un moment où sa séduction ne joue à plein et l'on se prend à se dire que l'on vient de faire un rêve magnifique dont on n'avait pas forcément envie qu'il se dissipe aussi vite lorsqu'une heure et demie plus tard, on est en train de battre des mains pour remercier les artistes que l'on rappelle encore et encore.

Tu vois, cher Guillaume, que cette entrée en matière a été pleinement réussie, et sans considération de notre âge ou de notre condition, car le public était composé d'autant de connaisseurs que de familles, nous sommes sortis de la salle avec mille lueurs dansantes dans les yeux. N'est-il pas rassurant, au fond, 04 L'Autre Monde Arques 2014 Copyright Robin H Daviesque L'Autre Monde soit un spectacle dans lequel chacun peut trouver son compte et qui rassemble aussi largement, quand on voit aujourd'hui tant de gens aspirés dans la petite bulle créée par leurs écrans ? Ne faut-il pas y voir l'affirmation de l'harmonie que peut instaurer un art qui délaisse la facilité pour s'adresser à l'intelligence de son public ?

Il est temps pour moi de boucler ces lignes, mais je ne le ferai pas sans une bonne nouvelle : à la fin du mois d'octobre, paraîtra le DVD qui immortalise L'Autre Monde tel qu'il a été donné à l'Athénée en mai 2013, et tu pourras donc goûter à ton tour à ce fruit savoureux.

 

Porte-toi bien et sois heureux.
A bientôt.

 

Académie Bach 17e festival 20-23 08 2014Académie Bach d'Arques-la-Bataille, Festival de musique ancienne, 20 août 2014, salle des fêtes de Martin-Église

 

L'Autre Monde ou Les Estats & Empires de la Lune, d'après le texte de Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655)

 

Benjamin Lazar, comédien, adaptation & mise en scène
La Rêveuse, conception & interprétation musicale
Florence Bolton, dessus & basse de viole
Benjamin Perrot, théorbe, luth & guitare baroques

 

Évocation musicale :

 

1. Les fioles de rosée

 

2. Repas de fumées
Marin Marais (1656-1728), Musette 

 

3. Apologie du chou

 

4. Arrivée en Italie
Giovanni Girolamo Kapsberger (c.1580-1651), Canario

 

Cyrano de Bergerac Benjamin Lazar La RêveuseL'Autre Monde ou Les Estats & Empires de la Lune, 1 double disque Alpha 078 qui peut être acheté en suivant ce lien.

 

Cyrano de Bergerac L'Autre Monde Lazar La RêveuseL'Autre Monde ou Les Estats & Empires de la Lune, 1 DVD L'Autre Monde/Bel Air Média, à paraître le 30 octobre 2014.

 

Toutes les photographies illustrant cette chronique sont de Robin .H. Davies, utilisées avec sa permission. Toute utilisation sans l'autorisation de l'auteur est interdite.

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29 septembre 2013 7 29 /09 /septembre /2013 08:56

 

Ensemble Epsilon Ambronay 2013

L'ultime chronique des concerts entendus durant l'édition 2013 du Festival d'Ambronay va nous reconduire vers ce qui constitue une des missions importantes de cette manifestation depuis déjà quelques d'années, la découverte et la promotion de jeunes talents prometteurs.

 

Les réseaux sociaux n'étant heureusement pas que, même s'ils le sont hélas majoritairement, des cloaques moulinant la vacuité égocentrique de notre époque détraquée, c'est grâce à l'un deux que j'ai découvert l'existence de l'Ensemble Epsilon, formé à Lyon en 2009 pour défendre principalement la musique vocale de la Renaissance. Une vidéo de présentation accrocheuse et des échos favorables de concerts m'ont rapidement donné l'envie d'entendre à mon tour en direct des musiciens dont les capacités me semblaient en adéquation avec l'exigence artistique qu'ils affichent, tant il est vrai que le programme qu'ils proposaient dans le cadre de leur résidence à Ambronay était tout bonnement, en termes de répertoire, un des plus ambitieux du festival, avec la recréation d'extraits du Ballet royal de la nuit (1653) orchestrée par Correspondances.

Malgré l'acoustique définitivement trop sèche de la salle Monteverdi, le voyage que nous ont proposé les chanteurs réunis autour de Maud Hamon-Loisance, dont la douceur presque raphaélesque est l'écrin d'une autorité et d'une précision dans la direction frappantes, a été une vraie réussite. Le choix d’œuvres proposé, intelligemment illustré par de courts monologues ou scénettes visant à en donner l'essentiel de la teneur, mettait principalement en valeur deux compositeurs aujourd'hui assez largement méconnus, les florentins Francesco Corteccia, compositeur attaché à la cour du duc Cosme de Médicis dont il s'intitule maestro di cappella, et Francesco de Layolle qui s'installa à Lyon en 1521 et y fit paraître, en et autour de 1540, deux livres de Canzoni qui sont, en fait, des recueils de madrigaux. Comme souvent, il est beaucoup question, dans ces pièces, des différents états amoureux où l'on frémit (Aprimi, amor, le labbia, Layolle), se réjouit (Viva fiamma felice, Corteccia), se souvient (Quand'io ero giovinetto, Gabrieli) et surtout se lamente, le propre des amants madrigalesques étant d'être toujours extrêmement malheureux (Lasso la dolce vista, Layolle, Cosi estrema la doglia, Festa). Mais ces musiques savent aussi se tourner vers le ciel, qu'il s'agisse de louer l'astrologie (Stolt' è colui, Corteccia) ou, bien sûr, Dieu, comme dans le magnifique Pianget'egri mortali d'Adrian Willaert, méditation sur les blessures du Christ en croix au dolorisme tout empreint des effusions de la devotio moderna.

Composé de très belles individualités soudées par un véritable travail d'ensemble, Epsilon, outre une grande fluidité et une parfaite justesse vocales, a séduit par sa prestation très maîtrisée et équilibrée, aussi soucieuse de produire une sonorité séduisante que d'apporter aux madrigaux leur juste poids expressif. Les chanteurs savent faire passer avec beaucoup de finesse, ici un brin d'humour, là un sanglot retenu, sans jamais forcer le trait ou mettre en péril les architectures polyphoniques soigneusement pensées par les compositeurs. Les voix sont bien timbrées, avec des couleurs qui se fondent sans perdre pour autant en individualité, les différents pupitres s'écoutent et dialoguent avec naturel et complicité ; tous ont des choses à se dire et à nous conter et, pour peu que l'on accepte de consentir le petit effort de concentration nécessaire pour aborder ce répertoire, on se laisse entraîner et on les suit avec un infini plaisir dans les différentes étapes de cette Carte du Tendre du XVIe siècle. Notons, pour finir, la simplicité raffinée avec laquelle ces musiques pourtant savamment élaborées sont servies, cette absence d'afféterie et de tapage n'étant pas sans rappeler La Venexiana de la grande époque. On a hâte maintenant qu'Epsilon enregistre son premier disque afin qu'un nombre encore plus large d'auditeurs puisse goûter ses lectures déjà marquées du sceau d'un indéniable talent.

 

C'est donc sur une belle impression que s'est refermé mon passage au Festival d'Ambronay, deux jours riches en émotions et en promesses qui démontrent bien la vitalité qui anime la monde de la musique ancienne et baroque quand il oublie de céder aux sirènes de la rentabilité à tout prix. Au moment de boucler ces lignes, j'ai une pensée pour Alain Brunet qui peut être fier du travail accompli durant toutes ces années à la tête de cette manifestation et auquel nombre de mélomanes, mais aussi d'artistes, sont et seront durablement reconnaissants.

 

Festival d'Ambronay 2013 La machine à rêvesFestival d'Ambronay, 15 septembre 2013

 

Madrigaux de la Renaissance : Œuvres de Francesco de Layolle (1492-c.1540), Francesco Corteccia (1502-1571), Giovanni Gabrieli (c.1554/7-1612), Costanzo Festa (c.1485/90-1545), Matteo Rampollini (1497-c.1553), Adrian Willaert (c.1490-1562)

 

Ensemble Epsilon :
Magali Pérol-Dumora, soprano
Gabriel Jublin, contre-ténor
Julien Drevet-Santique, ténor
Romain Bockler, baryton
Anass Ismat, baryton-basse
Maud Hamon-Loisance, soprano & direction artistique

 

Accompagnement musical :

 

1. Francesco de Layolle, Lasso la dolce vista

 

2. Francesco Corteccia, Chi ne la tolt' oymè

 

Crédits photographiques :

Le cliché utilisé dans cette chronique est de Bertrand Pichène © CCR Ambronay

 

Remerciements :

 

À Véronique Furlan (Accent Tonique) pour la qualité de son accueil et de son écoute.

 

Au Festival d'Ambronay et, en particulier, à ses bénévoles, avec une pensée pour Luce, Bernard et les équipes de restauration.

 

À John Dauvin (La Boîte à Dif') et à l'Ensemble Epsilon pour l'autorisation d'utiliser les extraits musicaux figurant dans cette chronique.

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25 septembre 2013 3 25 /09 /septembre /2013 07:48

 

Les Mille et une nuits Louise Moaty La Rêveuse

Enfin vint la nuit avec ses merveilles. La plus chatoyante d'entre elles avait nom Les Mille et une nuits. Auréolées par la lueur des bougies dont l'odeur, avant même qu'elles fussent allumées, vous accueillait dès l'entrée sous le chapiteau, ponctuées par le clapotis des averses qui, en ce samedi soir, avaient décidé de cesser de faire relâche, bercées ou avivées par les mélodies tissées par la si bien nommée Rêveuse, celles qu'a conté la comédienne Louise Moaty ont transporté un public élargi à ceux dont on peut imaginer qu'ils ne hantent pas de coutume les festivals de musique « savante » vers l'Orient rêvé au XVIIIe siècle par Antoine Galland, traducteur infidèle et inspiré de ces contes au parfum d'ailleurs, dont il fit paraître une première édition en 1704, comme un nuage poudré d'or en plein ciel d'un règne entré en son crépuscule.

L'histoire de Shéhérazade tenant en haleine, grâce à des histoires bruissantes de merveilleux agencées avec un art consommé de la progression dramatique, le sultan de Perse Schahriar qui, à la suite d’une tromperie amoureuse, avait décidé d'épouser chaque jour une femme nouvelle pour la faire mourir aux premières heures du matin suivant, fait aujourd'hui partie de l'héritage de tout un chacun. Cette image d'une jeune femme courageuse qui, par le seul pouvoir de la mémoire et de la parole, empêche un tyran aveuglé par ses passions de massacrer le peuple dont sa mission est d'assurer le bonheur, est de tous les temps et trouve à notre époque bien des résonances. Louise Moaty a retenu trois histoires parmi toutes celles que contiennent les Mille et une nuits, celle du pauvre pêcheur boudé par la fortune dont un coup de filet, rendu miraculeux par l'intervention d'un génie, conduit un sultan à prêter main forte à un jeune roi pétrifié jusqu'à la ceinture par les charmes diaboliques d'une épouse infidèle, celle d'Abou Hassan qui voulut, une journée seulement, être calife à la place du calife, et celle de l'épouse du roi de Perse, perdue par la jalousie de ses sœurs, dont les enfants substitués par ces dernières à leur naissance, finissent par sauver la vie après une longue quête que sa fille accomplit quand ses deux fils ont échoué.

Les Mille et une nuits Louise MoatyLouise Moaty et le claveciniste Bertrand Cuiller, responsable de la conception musicale du spectacle, n'ont heureusement pas choisi d'entraîner le spectateur vers un orientalisme de pacotille, comme en témoignent un décor et des costumes extrêmement épurés, dont la relative neutralité empêchent toute distraction. Le propos des deux artistes est ailleurs et le voyage qu'ils proposent est celui d'un regard, celui que l'Occident pouvait porter sur un Orient dont, bien souvent, les formes étaient pour lui aussi incertaines qu'un mirage. On croisera donc, dans cette parade d'airs et de danses qui viennent rehausser et prolonger le jaillissement du verbe, des Janissaires d'une plume anonyme de la fin du XVIIe siècle, des Persans colorés par Rameau et des Asiatiques calligraphiés par Rebel et Francoeur, tous tentant d'évoquer, en se servant de leur vocabulaire de musiciens français, ces lointains inconnus entrevus dans le reflet d'une laque ou l'ombre d'une estampe, mais aussi des pièces soulignant l'action, signées Marais, Montéclair ou Couperin et même quelques transcriptions de musiques authentiquement orientales réalisées au XVIIe siècle par Ali Ufki et au suivant par Dimitri Cantemir. La Rêveuse se coule parfaitement dans ces ambiances tantôt intimes, tantôt festives, et y déploie la finesse du trait et l'élégance naturelle qu'on lui connaît, prenant une part réellement active au rêve qui se déploie et dont les quatre musiciens font miroiter les couleurs et les enchantements.

Louise Moaty, à l'image des bougies qui l'entourent, est lumineuse, chaleureuse, dispensant autour d'elle des émotions qui ne cessent de recomposer des paysages fantasmagoriques qu'un souffle magnifie ou fait vaciller, qui happent et qui captivent. Au bout de quelques minutes, le frein qu'aurait pu constituer, auprès d'une audience qui n'en est pas coutumière, le choix du français restitué pour conter ces histoires s'évanouit par la grâce d'une formidable éloquence, toute de mots et de gestes parfaitement maîtrisés qui font sens et sonnent juste. Pour en être savamment élaborées, ces Mille et une nuits sont tout sauf un exercice rhétorique desséché ; elle possèdent une fluidité, une limpidité qui, faisant oublier l'artifice, les rendent palpitantes et laissent une impression de naturel et d'évidence dont les mots sont impuissants à rendre l'enchantement qui caresse à la fois notre sensibilité d'adultes à l'écoute d'un beau texte interprété avec ferveur et la flammèche inextinguible de notre âme d'enfant qui a tant besoin de s'émerveiller et de rêver pour continuer à nous éclairer.

Il est minuit passé et la nuit à peine troublée par quelques échos de la fête marquant la fin des Vêpres enveloppe les cours et les murs de l'abbaye d'Ambronay. On sort du chapiteau le cœur et l'esprit comblés, malgré la nostalgie qui point toujours quand on a refermé un livre dont aurait aimé qu'il comptât quelques pages de plus, on forme des vœux pour retrouver, dès que la chance nous en sera à nouveau offerte, Louise Moaty et les musiciens qui l'accompagnent, on se réjouit déjà de pouvoir partager autour de soi quelques petits fragments du bonheur de ce soir et d'inciter qui le voudra à aller vivre lui-même tant de belles émotions. Mais pour l'heure, vite, s'allonger et faire resurgir, le temps d'un ultime salut, ces mille et un moments de grâce et de flamme pour que le rêve ne s'arrête pas !

 

Festival d'Ambronay 2013 La machine à rêvesFestival d'Ambronay, 14 septembre 2013

 

Les Mille et une nuits, conte en musique

 

Louise Moaty, comédienne
La Rêveuse
Bertrand Cuiller, clavecin & conception musicale

 

Évocation musicale :

 

Marin Marais (1656-1728), Pièces de viole du quatrième Livre (1717), Suitte d'un goût étranger :

1. L'Arabesque (IV.80)

2. La Tartarine (IV.58) & Double (IV.59)

 

Jordi Savall, basse de viole
Ton Koopman, clavecin
Hopkinson Smith, théorbe & guitare baroque

 

Marin Marais Suitte d'un goût étranger Savall Astrée E 7Pièces de viole du quatrième Livre, 1 CD Astrée E 7727. Réédité chez Alia Vox au sein d'un coffret qui peut être acheté en suivant ce lien.

 

Crédits photographiques :

 

Les deux clichés utilisés dans cette chronique sont de Bertrand Pichène © CCR d'Ambronay

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22 septembre 2013 7 22 /09 /septembre /2013 08:47

 

 

Même si la musique baroque a fondé et fonde encore l'essentiel de sa réputation, le Festival d'Ambronay s'est depuis longtemps ouvert à des périodes plus récentes et presque chaque édition comporte aujourd'hui des incursions vers les répertoires classique, romantique voire contemporain. Ce sont ces terres qu'ont exploré, avec des fortunes diverses, les deux concerts dont je souhaite vous dire quelques mots aujourd'hui.

Ensemble Incastri Ambronay

L’Ensemble Incastri (« enchevêtrés ») apparaissait dans le cadre des Cartes blanches aux jeunes ensembles, une excellente initiative qui permet chaque année à de jeunes musiciens sélectionnés par le Festival de bénéficier d'une résidence aboutissant à un concert et, pour les projets les plus aboutis, à l'enregistrement d'un premier disque. Formé tout récemment en 2012, Incastri réunit des instrumentistes issus du rang d'orchestres baroques européens, majoritairement italiens, comme l'Accademia Bizantina, Europa Galante ou I Barrochisti. Ils ont décidé de se confronter d'emblée à l'Octuor en fa majeur de Franz Schubert, œuvre de chambre composée en 1824 à la demande du clarinettiste Ferdinand Troyer, qui, malgré des dimensions impressionnantes (six mouvements pour environ une heure de musique), se situe dans l'esprit des divertimentos du XVIIIe siècle par son caractère plutôt lumineux que viennent cependant troubler des accents plus nostalgiques, voire dramatiques, dans lesquels on reconnaît la patte de l'auteur des Quatuors « Rosamunde » et « La jeune fille et la mort », d'ailleurs exactement contemporains.

Peu aidé par une salle à l'acoustique assez moyennement adaptée à la musique de chambre dans laquelle a, en outre, rapidement régné une chaleur moite redoutable pour l'accord des instruments anciens, l'Ensemble Incastri, en dépit d'un réel enthousiasme et d'un désir évident de servir au mieux ce monument du répertoire chambriste, a rapidement été à la peine, rencontrant des problèmes de justesse et de cohésion qui l'ont mis en péril durant les trois premiers mouvements. Ces difficultés n'ont cependant pas empêché certaines individualités de faire valoir de belles dispositions ; ainsi la violoncelliste Valeria Brunelli, le corniste Alessandro Denabian et surtout le clarinettiste Francesco Spendolini, très sollicité, commanditaire oblige, ont-ils tenu leur partie avec un brio certain. Très tendue durant la première partie du concert, l'atmosphère s'est considérablement allégée lorsque les portes donnant sur l'extérieur, à l'arrière de la salle, ont été ouvertes, apportant à tous une onde de fraîcheur bienvenue. Tout au long du Tema e variazioni, du Menuetto et du Finale, on a vu des promeneurs s'arrêter avec des mines semblant parfois tout droit sorties de tableaux de Spitzweg où se lisait la surprise d'entendre de la musique s'échapper de cet endroit, certains s'arrêtant même pour profiter jusqu'au bout de l'aubaine. Gagnés par ce climat bon enfant, les musiciens ont repris vigueur et confiance et, moins gênés techniquement donc plus à même d'établir de véritables dialogues entre les pupitres, ont livré de cette seconde partie de l'Octuor une lecture plus maîtrisée, enlevant même l'Allegro conclusif avec un certain panache. Gardons-nous donc de tout jugement hâtif ; si l'Ensemble Incastri a sans doute été trop ambitieux de se lancer à l'assaut d'une partition aussi exigeante avec des armes encore fragiles, il a également montré des qualités de cœur et musicales qui, au prix d'une conséquente maturation, peuvent lui assurer une plus heureuse suite que ces débuts en demi-teintes.

Quatuor Terpsycordes Ambronay

La prestation du Quatuor Terpsycordes se plaçait à un niveau incomparablement supérieur. S'il n'a pas encore acquis auprès du grand public la réputation que ses qualités devraient lui valoir, cet ensemble actif depuis plus de 15 ans, jouant sur instruments d'époque – des Vuillaume du milieu du XIXe siècle cordés en boyau et joués avec des archets classiques – ou modernes en fonction des répertoires abordés, n'en est pas moins de plus en plus séduisant au fil des années. Organisé autour d'une thématique rêveuse quelque peu ténue, le programme qu'il proposait débutait et s'achevait par deux œuvres appartenant à l'âge classique, le Quatuor en fa majeur op.50 n°5 (dit « Le Rêve », 1787) de Joseph Haydn et le Quatuor en si bémol majeur op.18 n°6 (dit « La Mélancolie », publié en 1801) de Ludwig van Beethoven, encadrant une partition récente, Ainsi la nuit (1977) d'Henri Dutilleux. De l'interprétation de cette dernière je ne dirai rien, si ce n'est qu'elle m'a semblé d'excellente facture et d'une précision extrême ; toute révérence faite au compositeur, cette audition m'a confirmé que je n'ai, à quelques exceptions près, strictement aucune affinité avec la musique contemporaine dont je ne comprends ni la langue, ni, conséquemment, le propos.

Les deux autres quatuors ont été abordés avec le même dynamisme ravageur qui n'empiète jamais, pour autant, sur un sens très fin des nuances et une vision très nette de l'architecture d'ensemble. Il faut dire que le premier violon, Girolamo Bottiglieri, conduit ses troupes, qu'unit une indéniable complicité, avec une autorité telle qu'on ne se pose pas un instant la question de savoir si elles savent ou non où elles vont, tant l'improvisation semble n'avoir pas sa place en leur sein. Les Terpsycordes ont su apporter au Quatuor en fa majeur de Haydn, sans doute le plus limpide de tout l'opus 50, marquant le retour du compositeur à ce genre après un silence de plus de cinq ans, aussi bien la fraîcheur requise par son premier mouvement à l'humeur aussi détendue qu'une conversation sans façons, que la douceur du tendre et berceur Poco adagio qui, au XIXe siècle, valut son surnom à l’œuvre entière, et l'humour qui, comme souvent chez Haydn, pimente le tout. Du Haydn de 1787 au Beethoven de 1798-1800, date de la composition des Quatuors de l'opus 18, dont les musiciens ont joué le sixième dont ils ont récemment gravé une très belle version au disque, il n'y a qu'un pas. Quelle page plus haydnienne, en effet, que l'Allegro con brio brillant et spirituel par lequel il débute ? Les ombres s'allongent un peu dans l'Adagio ma non troppo, plein d'une nostalgie qui va s'assombrissant, mais elles sont bien vite dissipées par un Scherzo facétieux. Et arrive le dernier mouvement, La Malinconia errante dans ses voiles de deuil que va tenter de faire sourire un Allegretto pimpant, le compositeur parvenant ainsi à évoquer l'alternance de dépressions et de sursauts joyeux propre aux âmes mélancoliques. Là encore, les musiciens ont su, avec autant d'intelligence que de sensibilité, épouser ce flux de sentiments contrastés pour le rendre d'une manière très fluide et naturelle.

Ce concert, très applaudi, a confirmé l'excellente impression laissée par les enregistrements du Quatuor Terpsycordes que l'on souhaiterait ardemment voir aborder maintenant des répertoires un peu moins fréquentés comme, par exemple, la musique romantique française, où il reste tant à faire et où leur enthousiasme contagieux, leur superbe palette de couleurs et le sentiment dépourvu de sentimentalisme qu'ils insufflent aux œuvres ne manqueraient sans doute pas de faire merveille.

 

Festival d'Ambronay 2013 La machine à rêves34e Festival d'Ambronay, 14 et 15 septembre 2013

 

I. Franz Schubert (1797-1828), Octuor en fa majeur, D.803

 

Ensemble Incastri

 

II. Franz Joseph Haydn (1732-1809), Quatuor en fa majeur op.50 n°5 (dit « Le Rêve ») Hob.III.48

Henri Dutilleux (1916-2013), Ainsi la nuit

Ludwig van Beethoven (1770-1827), Quatuor en si bémol majeur op.18 n°6 (dit « La Mélancolie »)

 

Quatuor Terpsycordes

 

Accompagnement musical :

 

Ludwig van Beethoven, Quatuor en si bémol majeur op.18 n°6 :
[I] Allegro con brio

 

Quatuor Terpsycordes

 

Beethoven Quatuors op 18 6 et 132 Quatuor TerpsycordesLudwig van Beethoven, Con intimissimo sentimento : Quatuors op.18 n°6 et op.132. 1 CD Éditions Ambronay AMY 037. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

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Les deux clichés utilisés dans cette chronique sont de Bertrand Pichène © CCR Ambronay

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19 septembre 2013 4 19 /09 /septembre /2013 14:11

 

 

Un peu d'été s'attardait encore et caressait les vénérables pierres de l'abbaye d'Ambronay en ce début de soirée du vendredi 13 septembre qui voyait l'ouverture de la 34e édition du festival qui, chaque début d'automne, réunit valeurs sûres et talents prometteurs majoritairement dans le domaine de la musique baroque. À bien des égards, la « Machine à rêves » choisie pour intituler ce crû 2013 était de celles qui conduisent vers le proche basculement dans un monde nouveau, avec le départ de l'actuel directeur, Alain Brunet, auquel succédera Daniel Bizeray, et la fin de la résidence de Leonardo García Alarcón, artiste devenu emblématique de l'Ambronay de ces dernières années comme le fut autrefois avec, n'en déplaise à certains, une force comparable, Jordi Savall.

 

Festival Ambronay Vêpres Monteverdi Garcia Alarco-copie-1Pour le chef argentin, diriger les Vespro della Beata Vergine (1610) de Claudio Monteverdi, œuvre destinée, entre autres, à démontrer l'étendue du savoir-faire de son auteur qui cherchait à s'échapper de la cour de Mantoue devenue trop étroite pour ses ambitions, revêtait un caractère symbolique extrêmement fort. Quel chemin parcouru, en effet, par le jeune assistant de Gabriel Garrido qui, ainsi qu'il le rappellera en souriant à la fin du concert, tenait, en 2000, le continuo d'orgue « caché derrière un pilier » de cette même abbatiale, et dont chaque prestation déclenche aujourd'hui l'enthousiasme d'un public dont une partie est d'ailleurs venu à la musique dite « classique » grâce au formidable catalyseur d'énergies que même ses détracteurs avouent qu'il est.

Leonardo García Alarcón connaît ces Vêpres multiformes « de l'intérieur » et si l'interprétation qu'il a donnée n'a pas soulevé que des murmures d'approbation, elle a l'insigne mérite de refléter un véritable travail de réflexion sur la partition et ses enjeux qui ne surprendra pas ceux qui prennent le temps d'écouter véritablement le travail de ce chef, qu'ils y adhèrent ou non, plutôt que se contenter de prêter l'oreille à ce qui s'en dit dans certains cercles prétendument autorisés. Pour servir sa vision, il a choisi de se reposer sur une équipe de fidèles dont certains ont, une nouvelle fois, su tirer brillamment leur épingle du jeu. Le plus éclatant de tous a, sans grande surprise, été Fernando Guimarães, ténor dont la solidité des moyens vocaux et l'abattage sont toujours aussi impressionnants et qui a imposé son autorité naturelle dans chacune de ses interventions, notamment dans un Nigra sum à la charge érotique presque impérieuse. Que Zachary Wilder, le second ténor, ait pu donner la réplique à une aussi forte personnalité sans pâlir est déjà, en soi, une qualité ; ce chanteur en possède bien d'autres, dont une expressivité très raffinée qui contraste, en la complétant, avec celle, plus percutante, de son compère, et une articulation particulièrement claire et soignée ; quelque chose me dit que c'est un artiste dont on reparlera. Cette même idée de netteté est celle qui vient le plus immédiatement à l'esprit pour qualifier la prestation de Céline Scheen, dont la maîtrise faisait oublier quelques extrêmes aigus un peu éteints. On m'accusera de verser dans les clichés les plus éculés si j'écris que le couple qu'elle formait avec Mariana Flores était parfaitement complémentaire, elle personnifiant une vocalité quelque peu « septentrionale », tandis que sa brune comparse incarnait toute la générosité et la séduction chaleureuse que l'on prête aux voix plus méridionales ; le Pulchra es a, en tout cas, été un moment plein de charme grâce à ce duo aussi bien équilibré que celui des ténors. Saluons, pour finir ce rapide tour d'horizon des solistes, la présence de Victor Torres, baryton dont chaque intervention a été un enchantement. La voix, sans doute, accuse parfois le passage du temps, mais quelle juste éloquence, quel naturel, quel sens inné et sans aucune préciosité de la nuance ; son Audi coelum a, sans contredit, été un des plus beaux moments de ces Vespro.

La Cappella Mediterranea s'est présentée elle aussi dans de bien beaux atours où brillaient comme des gemmes quelques très belles individualités comme la violoniste Stéphanie de Failly ou la cornettiste Judith Pacquier, ainsi que d'excellents pupitres de saqueboutes (Fabien Cherrier, Adrian France, Jean-Noël Gamet) et de cordes pincées (Massimo Moscardo et Quito Gato), délivrant une sonorité d'ensemble qui, par son opulence sans lourdeur, sa transparence sans sécheresse et sa réactivité, posait l'orchestre en véritable acteur et non en simple accompagnateur. Je tiens à souligner particulièrement la prestation remarquable de l'homme caché derrière un pilier, Lionel Desmeules, qui, outre un continuo d'orgue impeccable, a également donné à entendre des antiennes grégoriennes parfaitement réalisées, ce qui est loin d'être toujours le cas. Voici un musicien que l'on prendra plaisir à réentendre souvent, au disque comme au concert. Le Chœur de Chambre de Namur a une nouvelle fois été à la hauteur de sa réputation par sa discipline d'ensemble et la toujours très grande netteté de ses phrasés, qualités qui vont de pair avec un investissement de tous les instants très bienvenu dans une œuvre qui en demande beaucoup.

Festival Ambronay Vêpres Monteverdi Garcia Alarcon CappellToutes ces belles qualités n'ont cependant pas pu empêcher quelques baisses de tension durant la première partie du concert dans laquelle apparaissaient parfois, avec une acuité presque cruelle, les traces de la fatigue accumulée durant le véritable marathon des trois journées précédentes durant lesquelles les Vespro ont été enregistrées en vue d’une parution discographique en 2014. La seconde a, en revanche, été un quasi sans-faute avec une Sonata sopra Sancta Maria étincelante, un Ave maris stella touchant d'humble recueillement et un Magnificat parfaitement pensé et conduit dont la formidable prière a constitué une conclusion pleine d'une exultation assez emballante.

 

Ces Vespro della Beata Vergine, malgré quelques faiblesses ponctuelles, ont apporté une nouvelle illustration de l'art de Leonardo García Alarcón, un chef qui, contrairement à un certain nombre de ses confrères qui se rassurent en récitant des leçons bien apprises de leurs aînés sans leur apporter forcément une touche personnelle, ose prendre des risques et remettre en question les certitudes interprétatives. Il y a fort à parier que certains de ses choix de distribution, comme dans le Duo Seraphim, confié à deux ténors et baryton pour mieux illustrer la Trinité, ou d'instrumentation, comme ces flûtes ténor aussi inattendues qu'évocatrices dans l'Ave maris stella, ou encore le fait qu'il souligne, comme peu d'interprètes avant lui, les liens très forts qu'entretient ce recueil sacré avec la musique profane, ne feront pas l'unanimité. Ils ne se sont pas moins unis autour d'une équipe soudée pour offrir, en cette soirée de septembre, un magnifique hommage au foisonnement de l'inspiration monteverdienne, digne à la fois de son métier très sûr et de son imagination toujours en éveil.

 

Festival d'Ambronay 2013 La machine à rêves34e Festival d'Ambronay, 13 septembre 2013

 

Claudio Monteverdi (1567-1643), Vespro della Beata Vergine (1610)

 

Céline Scheen, Mariana Flores, sopranos
Fabián Schofrin, contre-ténor
Fernando Guimarães, Zachary Wilder, ténors
Victor Torres, Matteo Bellotto, barytons
Sergio Foresti, basse
Cappella Mediterranea
Chœur de Chambre de Namur
Leonardo García Alarcón, direction

 

Crédits photographiques :

Les clichés utilisés dans cette chronique sont de Bertrand Pichène © CCR Ambronay

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3 septembre 2013 2 03 /09 /septembre /2013 07:48

 

 

Jamais je n'aurais imaginé que reviendrais à Sablé en cette fin du mois d'août 2013. Mon dernier contact avec ce festival découvert, non sans une certaine émotion, au début des années 2000, remontait à 2011, année où j'avais assisté à presque tous les concerts, et je vous avoue que j'en étais reparti avec un sentiment assez mitigé, celui d'une manifestation au programme indiscutablement intéressant, mais finalement un peu repliée sur elle-même et en proie à une certaine autosatisfaction. Il semble que les choses se soient nettement améliorées en l'espace de deux ans et si j'ai pu émettre, ici ou là, des réserves sur certains choix de programmation, force m'est de constater que cette dernière a su également ménager une bonne place à des œuvres ou à des compositeurs moins fréquentés et que l'atmosphère du festival a tangiblement gagné en détente et en convivialité.

Ensemble Jacques Moderne Sablé 2013

Ensemble Jacques Moderne, 24 août 2013
Photographie © Festival de Sablé

 

Le concert donné par l'Ensemble Jacques Moderne en l'Église Notre-Dame de Sablé nous plongeait dans l'atmosphère raffinée de la maison de Marie de Guise au service de laquelle Marc-Antoine Charpentier fut de son retour d'Italie aux alentours de 1670 à la mort de sa protectrice en 1688 et pour laquelle il composa nombre de pièces de musique sacrée, dont quelques-unes font aujourd'hui partie de ce qui est regardé comme une des parts les plus raffinées d'une production qui l'est, de manière générale, au plus haut degré. Le choix de Joël Suhubiette et de ses musiciens s'est porté sur trois compositions à six parties vocales, marque insigne de luxe à une époque où l'on s'en tenait plutôt, y compris à la cour, à quatre ou cinq, deux dessus instrumentaux et basse continue. Du Canticum Zachariæ de 1686, peut-être le moins connu, aux plus fréquentées Litanies de la Vierge composées l'année précédente en l'honneur de Celle qui avait donné son prénom à Mademoiselle de Guise et au célèbre Miserere écrit lui aussi, selon toute vraisemblance, en 1685 et qui doit son surnom de « des Jésuites » au fait que Charpentier a retravaillé sa partition lorsqu'il fut employé par ces derniers à partir de 1688, ce sont les mêmes qualités d'écriture qui s'imposent. Il y a, bien sûr, une évidente maîtrise des techniques de composition qui permet au musicien de tirer le meilleur parti possible des effectifs à sa disposition, qu'il fait dialoguer ou oppose en double chœur, qu'il unit pour obtenir des effets de masse ou disjoint pour mieux faire entendre leurs couleurs individuelles – on connaît le nom des chanteurs qui, faisant partie de la domesticité de Mademoiselle de Guise, interprétaient ces pièces pour elle, Charpentier lui-même dirigeant tout en tenant la partie de haute-contre –, il y a aussi cette recherche permanente de dramatisation des affects qui, pour être efficace, n'en reste pas moins d'une grande retenue, présentant une synthèse personnelle et supérieurement aboutie des recherches expressives italiennes et de l'élégance maîtrisée si chère à l'esprit français.

Pour servir une musique dont la fluidité fait oublier qu'elle repose sur une alchimie très savamment étudiée, il faut des musiciens suffisamment familiers avec ce répertoire pour en maîtriser l'arsenal rhétorique sans jamais que l'effort semble peser. L'Ensemble Jacques Moderne, malgré une acoustique d'église un rien trop dispersante qui avait tendance, du moins du rang assez lointain où j'étais placé, à avaler certaines harmoniques, s'est montré parfaitement à la hauteur de cet enjeu et a délivré une prestation de très grande qualité. Stimulés par la direction de Joël Suhubiette, très soucieux de théâtraliser le discours en en faisant saillir les contrastes sans pour autant faire de concession sur la précision, les chanteurs ont fait assaut d'ardeur – François-Nicolas Geslot, haute-contre à l'implication très « physique » – et de sensualité – Camille Poul, Anne Magouët et Sarah Breton dont les voix lumineuses, souples et sans une once de préciosité méritent de chaleureux éloges –, tout comme le groupe d'instrumentistes au sein duquel la complicité des deux violonistes, Sophie Gevers-Demoures et Myriam Gevers, au jeu d'une grande lisibilité, parfaitement articulé et sans aucune sécheresse, faisait merveille, tout comme le continuo animé avec ce qu'il faut de rondeur et d'inventivité par Marion Middenway à la basse de violon, Rémi Cassaigne au théorbe et l'organiste Emmanuel Mandrin, dont les affinités avec la musique française du Grand Siècle ne sont plus à démontrer. Dans la nef baignée par les généreux rayons d'un soleil déjà d'arrière-saison, la musique de Charpentier, servie avec autant de cœur, avait si fière allure que les regrets du monarque qui ne sut pas l'accueillir au sein de sa cour en eussent certainement été attisés s'il avait pu l'entendre.

 

Grande Veillée Sablé 2013

Collegium Marianum, Jana Semerádová (flûte traversière), Les Musiciens de Saint-Julien, François Lazarevitch (flûte traversière), La Simphonie du Marais, Hugo Reyne (flûte à bec), Ensemble Amarillis, Héloïse Gaillard (flûte à bec), 24 août 2013
Photographie © Festival de Sablé

 

Pour le concert de clôture, l'atmosphère se faisait moins solennelle et plus rieuse. Fort judicieusement, les organisateurs avaient décidé de consacrer cette Grande veillée finale à un seul compositeur, le trop mésestimé Georg Philipp Telemann, au travers d’œuvres pour flûtes à bec et traversière interprétées par quatre ensembles dirigés par des virtuoses de ces instruments. Les contraintes de trajet ne m'ont pas permis d'entendre la seconde partie de ce concert et notamment un Concerto pour flûte à bec et flûte traversière en mi mineur (TWV 52:e1) que l'on m'a rapporté avoir été très réussi, mais la première partie m'a apporté bien des joies. Les choses avaient commencé en demi-teintes, avec un rare Concerto pour flûte traversière en si mineur (TWV 51:h1) abordé de façon assez hésitante par François Lazarevitch, dont on peut se demander si ce répertoire le passionne vraiment, et des Musiciens de Saint-Julien plus à leur affaire où brillaient le violon très assuré de Domitile Gilon et la viole chaleureuse de Lucile Boulanger. Le problème était un peu inversé avec La Simphonie du Marais qui s'attaquait au célébrissime Concerto pour flûte à bec en ut majeur (TWV 51:C1) dans lequel la brillante prestation d'un Hugo Reyne en grande forme a fait oublier un groupe instrumental un peu pâle. Le meilleur était néanmoins à venir et il prit le visage de deux femmes qui devaient livrer les lectures les plus convaincantes du concerto qu'elles avaient choisi. Celle qui a suscité le plus de murmures d'admiration dans le public est Jana Semerádová qui, à la tête d’un Collegium Marianum impeccablement réglé, a offert un Concerto pour flûte traversière en ré majeur (TWV 51:D2) très enlevé et sensuel, parcouru par l'esprit de la danse et qui vous prenait par la main dès la première note pour vous laisser tout sourire reconnaissant lorsque la dernière s'était évaporée. Pour certains spectateurs, la musicalité aussi élégante que conquérante du Collegium Marianum était une révélation, mais pour moi qui ai découvert cet ensemble à Sablé un certain 25 août 2007, il s'agissait d'une confirmation supplémentaire d'un talent qui lui vaudra, je l'espère, de nouvelles invitations dans les festivals français. Suivant immédiatement ce petit moment de grâce, la proposition de l'ensemble Amarillis dans le Concerto pour flûte à bec en fa majeur (TWV 51:F1) n'a pas déçu. Il s'agit probablement de celle où l'esprit de la musique de chambre exécutée entre amis était le plus clairement perceptible et où les pupitres s'équilibraient le plus idéalement, la volubilité d'Héloïse Gaillard trouvant, entre autres, dans le clavecin souverain de Violaine Cochard, la luminosité du violon d'Alice Piérot et la verve du violoncelle d'Annabelle Luis des partenaires à sa hauteur.

 

En quittant le centre culturel de Sablé réchauffé par des applaudissements nourris pour reprendre la route dans la piquante fraîcheur de la fin de soirée sarthoise, on se disait, filant la métaphore de la thématique de l'édition 2013 du festival, que cette belle journée en avait donné, par sa qualité comme par sa générosité, une excellente illustration et que l'on prendrait plaisir, dans l'attente de celles à venir, à se ressouvenir de ces heures véritablement précieuses.

 

Festival de Sablé 2013Festival de Sablé 2013, 24 août 2013

 

1. Marc-Antoine Charpentier, Motets pour Mademoiselle de Guise : Canticum Zachariæ H.345, Litanies de la Vierge H.83, Miserere « des Jésuites » H.193

 

Ensemble Jacques Moderne
Joël Suhubiette, direction

 

2. Georg Philipp Telemann, Concertos pour flûtes : pour flûte traversière en si mineur TWV 51:h1*, pour flûte à bec alto en ut majeur TWV 51:C1**, pour flûte traversière en ré majeur TWV 51:D2***, pour flûte à bec alto en fa majeur TWV 51:F1****. [Non entendus : Ouverture pour flûte à bec et flûte traversière en mi mineur adaptée de l'Ouverture pour deux flûtes traversières en mi mineur TWV 55:e1 extraite de la Tafelmusik */** et Concerto pour flûte à bec et flûte traversière en mi mineur TWV 52:e2 ***/****]

 

*Les Musiciens de Saint-Julien
François Lazarevitch, flûte traversière & direction

 

**La Simphonie du Marais
Hugo Reyne, flûte à bec alto & direction

 

***Collegium Marianum
Jana Semerádová, flûte traversière & direction

 

****Ensemble Amarillis
Héloïse Gaillard, flûte à bec alto & direction

 

Évocation musicale :

 

Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Litanies de la Vierge, H.83 : Kyrie eleison

 

Ensemble Jacques Moderne
Joël Suhubiette, direction

 

200 ans de musique à Versailles MBF 1107200 ans de musique à Versailles. 1 coffret de 20 CD MBF 1107. A rééditer.

 

Georg Philipp Telemann (1681-1767), Concerto pour flûte à bec alto, cordes et basse continue en ut majeur, TWV 51:C1 : [IV] Tempo di Minuet

 

Maurice Steger, flûte à bec alto
Akademie für Alte Musik Berlin

 

Georg Philipp Telemann Blockfloten-werke Steger AKAMUSŒuvres pour flûte à bec. 1 CD Harmonia Mundi HMC 901917. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

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16 août 2013 5 16 /08 /août /2013 09:02

 

Jordi Savall Xavier Diaz-Latorre Richelieu 11 08 2013

Jordi Savall et Xavier Díaz-Latorre, 11 août 2013
Photographie de Nicolas Boyer

 

Il est d'usage qu'un festival s'achève sur un bouquet final. La 7e édition du Festival de musique de Richelieu n'a pas fait exception à cette règle et l'a même outrepassée en proposant, peut-être avec un secret clin d’œil à la munificence cardinalice, non pas un, mais deux concerts réunissant un duo d'artistes qu'unit depuis longtemps une belle complicité au service de la musique ancienne et baroque, Jordi Savall et Xavier Díaz-Latorre.

 

Sous un généreux soleil d'août, le Dôme, comble et concentré, a chaviré aux deux programmes à la fois très différents et parfaitement complémentaires judicieusement proposés par les organisateurs et les musiciens et qui pouvaient séduire aussi bien les auditeurs néophytes que les plus confirmés. Le premier, intitulé Ostinatos et improvisations, constitue une illustration des explorations menées par le maître catalan depuis la fin des années 1990, faisant la part de plus en plus belle aux capacités d'invention à partir d'un thème donné Jordi Savall Richelieu 11 08 2013qui étaient autrefois un des critères majeurs permettant de juger de la qualité d'un musicien. Convoquant tour à tour quelques recercadas du Trattado de Glosas sobre clausulas... (Traité de l'ornementation des cadences... ), premier recueil destiné à la viole de gambe publié à la fin de 1553 à Naples par l'Espagnol Diego Ortiz, des pièces de caractère tirées des Musicall Humors (1605) du mercenaire anglais Tobias Hume, redécouvert par Jordi Savall au début des années 1980, et deux pièces pour guitare de Gaspar Sanz, qui sont toutes autant de canevas à partir desquels l'imagination de l'interprète se doit de broder et d'embellir, les deux compagnons ont fait surgir tantôt les échos de lointaines batailles (Hume, A Souldiers Resolution) ou de levers de rideau (Harke, harke, aujourd'hui un classique de la littérature pour viole), tantôt les mille couleurs et ondoiements de la danse, noble passamezzo « à l'ancienne », Ruggiero goguenard, Romanesca à la fois chaloupée et subtilement lyrique, dont l'exaltation a complètement enflammé la dernière partie, composée de trois improvisations dont l'allure très libre dissimule tout ce qu'elles ont de parfaitement maîtrisé et réfléchi, d'un récital qui s'est achevé au milieu des flammèches d'une Gallarda Napolitana rien moins qu'incandescente.

Plaintes et folies, le second concert, était un régal pour tous ceux qui suivent la carrière de Jordi Savall depuis longtemps et se réjouissent toujours de le voir revenir à la musique baroque française, pour la redécouverte de laquelle il a œuvré avec une remarquable ténacité depuis le milieu des années 1970. Autant Ostinatos et improvisations était un récital souvent solaire, Xavier Diaz-Latorre Richelieu 11 08 2013autant celui-ci développait une atmosphère plus ombreuse qui, par le choix de compositeurs comme les Sainte Colombe père et fils ou Marin Marais, évoquait fortement celle de Tous les matins du monde. Cette douce mélancolie, pas celle qui abat mais plutôt celle qui berce, celle que Victor Hugo définissait, dans Les Travailleurs de la mer, comme « le bonheur d'être triste », a peut-être trouvé sa plus parfaite expression dans une lecture miraculeuse de la Chaconne de Robert de Visée par Xavier Díaz-Latorre qui, non content d'être un continuiste attentif, précis et inventif, s'est révélé un soliste de grande classe dans chacune de ses interventions, déployant un toucher à la fois virtuose et d'une admirable finesse au service d'une sonorité à la fois charnue et translucide qui, magnifiée par l'acoustique du Dôme de Richelieu (saluons la clairvoyance des organisateurs quant au choix du lieu), a suspendu le temps et suscité des murmures unanimes d'admiration, et dans celle, tout aussi réussie, des Voix humaines de Marin Marais où Jordi Savall rejoignait le théorbiste pour un moment d'une extraordinaire densité émotionnelle et humaine. Comme pour renouer le fil avec le concert précédent, ce second récital s'achevait avec les Folies d'Espagne du même Marais, morceau de bravoure enlevé avec un panache qui faisait définitivement oublier quelques intonations hasardeuses entendues dans les premières pièces.

Lentement, on a repris l'allée du parc qui rejoint la ville toute proche, la tête encore pleine de ces rythmes et de ces harmonies qui se fondent si naturellement dans un cadre imaginé au XVIIe siècle comme un idéal. Les sourires et les échanges lors du dîner avec les deux musiciens en disaient long sur le bonheur que tous éprouvaient d'être rassemblés par la musique dans un paysage qui semble l'appeler aussi spontanément. Puis vint l'heure des au revoir qui arrive toujours trop tôt mais contient, comme un filigrane d'or, la promesse des retrouvailles. L'année prochaine, on refera bien volontiers, si la vie le permet, le chemin vers la cité du Cardinal, on espérera y croiser de nouveau la route de Jordi Savall et Xavier Díaz-Latorre si leurs pas les y reconduisent aussi, on se réjouira de découvrir les surprises et les rencontres qu'artistes et organisateurs auront à cœur de nous préparer. Qu'elles soient baroques ou romantiques, peut-être un jour médiévales ou renaissantes, puissent les musiques continuer longtemps à rêver avec nous sous les frondaisons de Richelieu.

 

Festival de Musique de Richelieu 20137e Festival de musique de Richelieu, Dôme de Richelieu, 11 août 2013

 

I. Ostinatos et improvisations, œuvres de Diego Ortiz, Tobias Hume, Gaspar Sanz, Antonio Valente et anonymes

 

II. Plaintes et folies, œuvres de Sainte Colombe père et fils, Marin Marais, Johann Sebastian Bach et Robert de Visée

 

Jordi Savall, basse et dessus de viole
Xavier Díaz-Latorre, guitare et théorbe

 

Rappel discographique :

 

Ostinato Hesperion XXI Jordi SavallOstinato, 1 CD Alia Vox AV 9820. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extrait proposé :

 

1. Improvisation : Canarios

 

Les Voix humaines Jordi SavallLes Voix humaines, 1 CD Alia Vox AV 9803. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extrait proposé :

 

2. Marin Marais (1654-1728), Les Voix humaines (version pour viole seule de Jordi Savall)

 

Crédits photographiques :

 

Les clichés illustrant cet article sont de Nicolas Boyer, à l'exception de celui de Jordi Savall, qui est de Jean Yves.

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