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28 décembre 2014 7 28 /12 /décembre /2014 09:35

2014-12-28 Frans Francken Un cabinet de curiosités

« ... Arrêter Passée des arts après plus de cinq ans d'une activité soutenue porteuse de soucis épineux mais aussi et surtout de joies réelles pour en prolonger ailleurs l'esprit dans un cadre différent est un pari risqué mais qui m'est pourtant apparu, après maintes réflexions, assez logique... »

 

La suite de l'aventure est ici : http://wunderkammern.fr/2014/12/28/des-mots-et-merveilles/

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5 septembre 2014 5 05 /09 /septembre /2014 07:31

 

William Bouguereau Dante et Virgile aux enfers

William Bouguereau (La Rochelle, 1825-1905),
Dante et Virgile aux enfers, 1850
Huile sur toile, 281 x 225 cm, Paris, Musée d'Orsay

 

Comme souvent lorsque je prends la parole hors du cadre des chroniques que je vous propose ici, ce billet est né de la réaction à un entrechoquement que rien ne pouvait laisser prévoir, un de ces « carambolages du hasard » pour reprendre l'expression de ma chère Marguerite Yourcenar. Il devait être cinq heures et demie du matin, la grande radio nationale que je m'astreins à écouter pour ne pas perdre complètement le fil de l'actualité oscillait entre l'annonce de l'assassinat d'un journaliste égorgé par des intégristes et celle de la publication du livre d'une journaliste ayant frayé dans les draps du pouvoir, toujours moins propres qu'on le croit. On sentait d'emblée de quelle nouvelle la frénésie médiatique allait s'emparer, faisant un commerce toujours plus florissant de la propension qu'a la majorité des gens, fut-ce furtivement et en se pinçant le nez, à soulever les courtines. Pauvre Steven Sotloff, dont le cadavre martyrisé était rejeté, à peine froid, hors du centre de l'attention par les pantalonnades de ce couple infernal qui unit sous un même joug politique et médias, qui seront elles-mêmes éclipsées par le prochain fait divers sanglant, puis par un défi stupide diffusé sur facebook, puis par les inepties de quelque tête creuse promue par la télé-réalité. Tout va vite dans notre monde qui glorifie l'insignifiance, où une information pousse l'autre, où le traitement de cette dernière se résume trop souvent à une juxtaposition d'annonces modelée sur les fils d'actualité des réseaux sociaux, et qui semble en proie à une colique permanente qui ne fait que souligner à quel point l'affirmation constante de sa volonté de rajeunissement est une tentative pour masquer son usure de vieillard qui a tendance à s'oublier. Me revinrent alors ces phrases qu'Umberto Eco met dans la bouche de Guillaume de Baskerville dans son face-à-face final avec Jorge de Burgos, auquel il vient d'asséner un sec « tu es le diable », et que devraient méditer les égorgeurs mais aussi, plus globalement, les intégristes de tout poil, notamment ceux qui ont repeint, il y a presque deux hivers, les artères de nos villes en bleu et rose pendant que des maires faisaient tomber les églises que maints fréquentent, tous ces agitateurs à la petite semaine qui, sans en avoir toujours conscience et au même titre que les diarrhéiques de l'impudeur et du ricanement, font le jeu d'extrêmes qui n'ont qu'à tendre ensuite leurs filets pour s'assurer une belle récolte avant, peut-être, de vendre demain à leurs sectateurs une exemplarité bottée : « Le diable n'est pas le principe de la matière, le diable est l'arrogance de l'esprit, la foi sans sourire, la vérité qui n'est jamais effleurée par le doute. Le diable est sombre parce qu'il sait où il va, et allant il va toujours d'où il est venu. » (Septième jour, Nuit)


Alors que tout ceci se pressait dans mon esprit, je tombai sur la bande-annonce d'un film annoncé pour le 8 octobre 2014, National Gallery. L'antidote fut souverain, tout comme les quelques jours passés récemment au festival de l'Académie d'Arques la Bataille, dont j'espère vous parler bientôt. Ainsi, il existe des cinéastes assez fous pour aller s'immerger continûment durant deux mois au cœur d'un musée afin de tenter d'en saisir la vie dans toutes ses dimensions, côté public comme côté coulisses, et opposer ainsi le temps long à la frénésie tyrannique de l'instantanéité, pour mieux proposer ensuite au public le fruit de cette observation durant trois heures, quintessence des cent-soixante dix effectivement tournées. Plus ces deux minutes de présentation se déroulaient, plus je sentais que les choses reprenaient leur juste place, loin de l'écume médiatique. Je retiens l'attention d'un public de tous âges, issu des couches les plus diverses de la société, aux explications des guides, cette artiste qui déclare si justement que « tout ce qui vous intéresse se retrouve dans l'art », et, vers la fin, ces visages d'autrefois qui me semblent tellement plus familiers que ceux d'aujourd'hui. Les musées, dans lesquels on a tort de ne voir que des conservatoires de la poussière, sont des lieux de vie, bien plus que les journaux, bien plus que la télévision, bien plus que toute cette technologie qui créé du lien qui isole en donnant l'illusion qu'il réunit. Le dialogue qui s'y instaure entre le spectateur et les œuvres, loin de l'abêtir, le conduit, pour peu qu'il y consente, à sortir de son cadre : un endroit où il n'a pas besoin de faire l'intéressant, des salles où il n'y a rien à vendre et pourtant tout à prendre, des cimaises qui le mettent en face de ce qu'il est, de ses limites comme de ses émotions, en l'autorisant parfois à rencontrer l'autre à un niveau plus essentiel, une déambulation dont il sort toujours grandi, parfois transformé. Un monde parfait.

 

Accompagnement musical :

 

XTC, The ugly underneath (1992)
(paroles et musique : Andy Partridge)

 

XTC NonsuchNonsuch. 1 CD Virgin CDV 2699. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien et au format numérique sur Qobuz.com.

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6 juillet 2014 7 06 /07 /juillet /2014 08:47
Juillet 2014

Même si je ne la goûte guère, la période estivale constitue toujours un moment intéressant dans l'activité d'un blog, dans la mesure où le ralentissement de l'activité qu'elle induit, tant du point de vue des lecteurs que des éditeurs, permet de faire le point et d'esquisser de nouvelles voies.

 

Outre un temps de pause qui m'a permis de me consacrer à certains projets, dont l'écriture des notes d'accompagnement d'un disque à paraître à l'automne, vous qui suivez l'actualité de Passée des arts aurez peut-être noté l'apparition de deux nouvelles rubriques. La première, Traverses, me permettra de rendre ponctuellement compte de réalisations s'inscrivant hors du répertoire « classique », musiques qui m'accompagnent de façon continue, antérieurement même à ce dernier ; si j'ai dû essuyer quelques manifestations de mécontentement face à cette initiative, les encouragements parfois les plus inattendus reçus en parallèle m'ont conforté dans ma décision de leur accorder une place ici. J'ai, depuis, noté ce passage dans un ouvrage consacré à Ralph Vaughan Williams que je suis en train d'étudier : « Palmer [réalisateur d'un documentaire sur le compositeur] interviewa également le musicien pop Neil Tennant [un des deux membres des Pet Shop Boys] qui rappela que l'impact de Vaughan Williams s'est toujours fait sentir hors du domaine de la musique classique. Frank Sinatra, par exemple, qui connaissait bien ce sujet, révérait Vaughan Williams et Job en particulier, et des musiciens aussi différents que Genesis, Wayne Shorter et, plus récemment, PJ Harvey, ont tous reconnu son influence. » (Alain Frogley et Aidan J. Thomson éd., The Cambridge Companion to Vaughan Williams, pp. 2-3). Éloquent, n'est-ce pas ?

Son titre d'Anglicismes dit déjà tout de la seconde rubrique qui sera justement consacrée à la musique composée outre-Manche entre le dernier quart du XIXe siècle et la fin des années 1950, généralement si mal connue et si peu défendue en France, alors qu'elle regorge de merveilles qui ne se résument pas à la production de Britten. Le peu d'écho recueilli par le tout récent billet consacré à Frank Bridge montre bien la difficulté de la tâche, mais il me semble que le jeu en vaut la chandelle. Ceci signifie-t-il qu'il y aura moins de baroque dans les mois à venir ? Nécessairement, oui, mais, entre nous, ça ne me pose guère de problèmes. N'allez néanmoins pas imaginer que je vais tourner le dos au répertoire qui me nourrit depuis plus de vingt-cinq ans, même si je ne peux cependant vous cacher un certain désabusement face à ce qui s'y passe aujourd'hui, ces pelletées de récitals inutiles, ces programmes qui semblent se copier mutuellement, ce goût de la recherche qui apparaît de plus en plus fréquemment aux abonnés absents. La pierre n'est pas à jeter uniquement aux musiciens, bien obligés de s'adapter aux lois du marché pour survivre, mais aussi à un public souvent paresseux pour qui le confort des habitudes et le souhait d'en avoir pour son argent sont hélas devenus des bannières. Il y a maintenant plus de quinze ans, Jean-Paul Combet lançait Alpha avec deux programmes inédits et audacieux consacrés à Castaldi et à Belli ; il y a fort à craindre qu'aujourd'hui, une telle aventure ne serait plus possible.

 

L'été qui commence marque également ma séparation d'avec France Musique, que je n'écoutais déjà plus qu'épisodiquement, mais dont les nouvelles orientations ont achevé de me convaincre que je n'y trouvais plus mon compte. Entendons-nous bien, je ne suis pas en train d'écrire que ce que fera la nouvelle équipe mise en place par Mathieu Gallet et Marie-Pierre de Surville sera obligatoirement détestable ; je dis juste que je ne supporterai pas deux heures quotidiennes de Frédéric Lodéon, musicien de talent mais dont les sarcasmes envers ces baroqueux qui ne savent pas jouer résonnent encore à mes oreilles, que je ne me reconnais ni dans les « Ciao bye bye » de tel animateur, par ailleurs prodigue en « génial » et en « sublime », qui sonnent aussi jeune à mes yeux qu'un quinqua bedonnant boudiné dans un baggy, ni dans les gloussements satisfaits de telle autre qui, chargée des disques, a quand même un peu de mal à concevoir qu'il existe de la musique intéressante avant, mettons, 1700, et que tout ne se résume pas au piano – la Renaissance ? le Moyen Âge ? Mais voyons, on va traiter ça en trente secondes, c'est tout ce que ça mérite –, pas plus que dans ce petit salon méridien où l'on se congratule et s'égratigne aussi un peu – taquin, va ! – entre gens de la même et forcément meilleure société. Horizons chimériques, la seule émission à laquelle je demeurais fidèle parce qu'elle me semblait avoir trouvé, malgré une durée trop contrainte, un bon équilibre entre approche informée et plaisir d'écoute, disparaît, et ce que je sais de la façon dont on l'a signifié à son producteur, Marc Dumont, qui avait eu la gentillesse de m'accorder un entretien ici-même et s'est vu congédié comme un laquais, ne fait que conforter le mauvais pressentiment que j'avais eu lorsque France Musique, en inaugurant son nouveau site Internet, avait supprimé la possibilité, pour les auditeurs, de poster des commentaires durant les émissions. Je demeure, pour ma part, persuadé qu'on ne construit rien de durable sur un fonds de mépris et les procédés de cette station envers ceux qui l'écoutent et ceux qui la font me semblent par trop relever de cette attitude. Bon vent, donc, à elle ; pour ma part, je reste sur le quai et je n'ai pas sorti mon mouchoir.

Pour finir, il faut que vous sachiez que les mois à venir seront sans doute un peu compliqués pour le blog, dans la mesure où l'on m'a fait comprendre, à demi-mots, qu'il n'était pas prioritaire pour ce qui regarde un certain nombre d'envois de presse. Je comprends bien que certains attachés de presse préfèrent des papiers bâclés mais qui paraissent vite à un quelconque travail de fond – on en voit même, sur les réseaux sociaux, donner du chroniqueur à des salonnards dont l'action se limite à publier des liens sans effectuer le moindre travail critique –, mais je ne peux ni ne veux travailler ainsi. Il me semble même que parler du disque classique en le sortant de la frénésie de la nouveauté est plutôt lui rendre service. Sauf imprévu, ma situation matérielle étant loin de me permettre des achats inconsidérés, je serai donc conduit à sélectionner de façon encore plus drastique ce que je vous proposerai. Mais l'aventure continue, pour vous et pour une certaine idée de la culture, qui me semble aujourd'hui de plus en plus fragilisée, quelquefois même par ceux qui, croyant la défendre, se trompent de cible en s'attaquant à de petites structures – je pense à l'action des intermittents lors du festival de Maguelone, typique de cette ignorance qui est toujours le terreau du pire – qui n'ont pas les capacités qu'ont les plus importantes pour survivre.

 

Je vous souhaite, à toutes et à tous, un très bel été.

 

Accompagnement musical :

 

1. Joy Division, Heart and soul (1980)
(Paroles : Ian Curtis, Musique : Ian Curtis, Peter Hook, Bernard Sumner, Stephen Morris)

 

Joy Division CloserCloser. 1 CD Factory FACD 25. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

2. Ralph Vaughan Williams (1872-1958), The Wasps, Aristophanic Suite (1909) :
[V] Ballet and final tableau 

 

London Philharmonic Orchestra
Sir Adrian Boult, direction

 

Ralph Vaughan Williams Orchestral works Sir Adrian BoultComplete symphonies & orchestral works. 1 coffret de 8 CD EMI 5 73924 2, indisponible sous cette forme.

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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 07:48

 

« L'étude est à l’homme adulte ce que le jeu est à l'enfant. C'est la plus concentrée des passions. C'est la moins décevante des habitudes, ou des attentions, ou des accoutumances, ou des drogues. L'âme s'évade. Les maux du corps s'oublient. L'identité personnelle se dissout. On ne voit pas le temps passer. On s'envole dans le ciel du temps. Seule la faim fait lever la tête et ramène au monde.
Il est midi.
Il est déjà sept heures du soir. »

 

Pascal Quignard, Leçons de solfège et de piano (Arléa, 2013)

 

Carl Gustav Carus Pèlerin dans une vallée montagneuseCarl Gustav Carus (Leipzig, 1789-Dresde, 1869),
Pèlerin dans une vallée montagneuse
, années 1820

Huile sur toile, 28 x 22 cm, Berlin, Alte Nationalgalerie

 

Au début de mars 2009, nous étions une petite cinquantaine, au mieux, à entamer ensemble l'aventure de Passée des arts, qui prenait le relais des quelques trois ans et demi d'activité de mon précédent blog, arrêté à la suite des défaillances de son hébergeur. Si mes comptes sont exacts, nous sommes aujourd'hui un peu plus de 2500 à poursuivre ce chemin, et vous êtes presque 500, à ce jour, à vous être abonnés directement à la lettre d'information du blog. Même si ces chiffres peuvent paraître bien faibles en regard de ceux annoncés par les publications traitant de mode ou de cuisine, sans parler de celles spécialisées dans le domaine de la musique qui disposent de tout autres moyens que les miens, je vous avoue que jamais je n'aurais pu imaginer fédérer autant de lecteurs autour d'un projet si peu en prise avec l'air du temps, puisqu'il semble acquis que parler d'art ancien (50 ans d'âge, au bas mot) n'est guère à la mode, pas plus que de tenir un blog à l'heure où les réseaux sociaux font régner leur tyrannie du vite publié, vite oublié, et de l'émotion immédiate et, avouons-le, souvent un peu facile. Mais, me direz-vous, vous participez à cette logique puisque vous êtes sur facebook. Certes j'y suis et, même si je réfléchis aux moyens de m'en affranchir à terme, je ne nie pas le fabuleux instrument de diffusion et de contact qu'il représente. Je n'en affirme pas moins que, le jour où je l'aurai quitté, ne me manqueront pas ceux qui publient quotidiennement une photo de leur trogne, ceux qui estiment que la moindre parcelle de leur quotidien, y compris la plus triviale, présente un intérêt universel, les pourfendeurs de l'exhibitionnisme moderne qui ne perdent cependant pas une occasion de déverser sur ce réseau leurs états d'âme et autres ratiocinations, les philosophes et polémistes à la petite semaine, les manieurs de « génie » et de « sublime » qui débardent de l'art au kilo sans faire montre du moindre recul critique ou apporter ne serait-ce qu'une once de plus-value personnelle, comme s'il s'agissait, comme le geai de la fable, de se parer de quelque postiche pour se donner un semblant de contenance. Je ne suis d'ailleurs pas dupe du caractère cursif, voire de pure convenance, qu'ont certains des « j'aime » et des commentaires qui accompagnent la publication sur facebook, des liens vers mes chroniques — avec un peu d'habitude, on repère vite les tricheurs et les désinvoltes, qui sont souvent proches cousins.

 

Une fâcherie récente avec un ensemble qui me tient rigueur de ne pas lui avoir accordé une place suffisante dans un de mes comptes rendus m'a permis de réaffirmer deux ou trois choses simples qui me guident depuis toujours. Je n'écris pas pour me faire des amis, des relations ou pour me faire reluire en laissant entrevoir que je suis à tu et à toi avec tel ou telle. Je n'ai de goût ni pour les honneurs, ni pour les salons, ni pour les cours. Les mondanités m'assomment et ceux qui me connaissent pourraient témoigner des efforts que je déploie pour les éviter. Lorsque je vais au concert ou dans certaines boutiques culturelles, on ne me reconnaît pas plus que n'importe quel spectateur ou client. J'écris parce qu'il y a des projets, des personnes, des œuvres, des lieux qui, un jour, arrivent jusqu'à moi et m'émeuvent, m'intriguent, me parlent. J'écris pour tenter de les apporter jusqu'à vous dont je sais, au fond, si peu de choses, avec le secret espoir que vous en serez touchés et qu'à votre tour, vous aurez à cœur de les partager. Je ne suis qu'un maillon de cette chaîne de transmission, ni plus, ni moins important que celui que vous êtes. Je n'écris pas pour les doctes, qui n'ont, je crois, rien à apprendre de moi et qui m'en remontreraient sur bien des points, ma culture étant, comme celle de nombre d'autodidactes, trouée de lacunes. Je ne défends aucune chapelle (je l'ai payé par le départ de certains lecteurs qui auraient souhaité qu'on ne parle ici que de baroque, une restriction que je refuse, car elle ne correspond pas à la réalité de mes goûts), aucune coterie et le provincial que je suis ne fait partie d'aucun de ces petits cénacles parisiens bruissants de mille murmures de louange ou de reproche que je n'aspire pas à rejoindre, pas plus, du reste, que ceux de la ville où je demeure, ces cercles d'influence, réelle ou fantasmée, n'étant pas l'apanage de la capitale. J'écris, je l'espère, avec suffisamment de simplicité pour vous donner, à vous qui me faites l'honneur, que je mesure pleinement, de me lire, l'envie d'aller écouter, voir, échanger, apprendre ; chaque chronique n'est qu'un point de départ, le premier chapitre d'une histoire dont il appartient à qui s'en empare d'écrire la suite à son gré, selon ses moyens ou ses envies. Ce n'est pas grand chose, au fond, un billet de blog, mais ce n'est pas une raison pour ne pas y offrir, à chaque reprise, le meilleur de soi-même pour que le fil offert à celui qui va dérouler ou broder ensuite son propre récit soit assez solide pour ne pas se rompre immédiatement. J'ai doucement commencé, depuis quelques semaines, à instiller quelques nouveautés, comme la rubrique « Instantanés » où le texte se contraint volontairement à la brièveté pour laisser plus de place à une vidéo, à une émission de radio, à quelques extraits musicaux. D'autres évolutions viendront à leur heure. Passée des arts est un lieu que je ne souhaite pas soumis à la précipitation et j'y travaille seul — le temps de l'étude n'est pas celui des fils d'actualités.

 

Au moment de boucler ces lignes, je tiens, quitte à me faire taxer de banalité (je n'ai, de toutes façons, aucune prétention à l'originalité), à remercier chaleureusement toutes celles et tous ceux qui, depuis le début de l'aventure qu'est ce blog, m'apportent un soutien sans faille et m'ont aidé, parfois de façon très concrète, à une époque pas si lointaine où je me demandais si je pourrais matériellement continuer à nourrir cet espace, dont je finance l'hébergement et une partie de ce qui y est proposé. Il y a des gestes que l'on n'oublie pas. Et bien sûr, un très sincère merci à vous, chers lecteurs, pour vos passages ici, que vous choisissiez ou non d'en laisser la trace, pour vos encouragements, pour votre fidélité. À vous, je peux bien le confesser : cinq années se sont écoulées et je n'ai pas vu le temps passer.

 

 

Accompagnement musical :

 

Norbert Burgmüller (1810-1836), Symphonie n°2 en ré majeur, opus 11 (inachevée, 1834-35) :

[II] Andante

 

Hofkapelle Stuttgart
Frieder Bernius, direction

 

Norbert Burgmüller Symphonies Frieder BerniusSymphonies 1 & 2. 1 CD Carus 83.226. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

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1 janvier 2014 3 01 /01 /janvier /2014 08:29

 

Francis Cotes Paul Sandby 1761

Francis Cotes (Londres, 1726-1770),
Portrait de Paul Sandby
, 1761

Huile sur toile, 125,1 x 100,3 cm, Londres, Tate Gallery

 

La période des vœux est toujours un moment fort dans la vie d'un blog, non seulement parce qu'elle permet d'esquisser un bilan et quelques perspectives, mais aussi et surtout de s'adresser aux lecteurs plus directement que par le biais des chroniques et des réponses aux éventuels commentaires qu'elles suscitent. Pour de multiples raisons, 2013 a été en demi-teintes pour Passée des arts, émaillée de périodes de silence inhabituellement longues destinées à faire le point sur cette aventure et les conditions de sa conduite, nettement moins idylliques que certains se l'imaginent.

J'ai décidé, cette année, de ne pas proposer, comme je le fais depuis maintenant deux ans, de sélection des douze disques que j'estime incontournables, non que 2013 n'ait pas été riche en parutions passionnantes – il me semble même que c'est exactement le contraire – mais par souci d'honnêteté envers vous, les artistes et les éditeurs. Quel sens, en effet, aurait eu d'établir un palmarès alors que, faute de temps, je n'ai pu chroniquer des disques aussi remarquables que le Michel de La Barre paru chez agOgique, le Gesualdo de la Compagnia del Madrigale (Glossa), les Litanies de la Vierge de Charpentier par Correspondances (Harmonia Mundi) ou encore certaines des parutions des séries « Opéra français » et « Cantates du prix de Rome » initiées par le Palazzetto Bru Zane en partenariat avec Ediciones Singulares — la Thérèse de Massenet et le Renaud de Sacchini méritent bien des louanges, tout comme le volume consacré à Max d'Ollone ? Le choix proposé aurait vite tourné à la mascarade et je m'y refuse. Je tiens cependant à saluer le travail courageux mené par les labels indépendants qui, dans des conditions parfois extrêmement précaires, comme on l'a vu lors des faillites, cette année, des distributeurs Codæx et Diverdi, quelquefois sans même parvenir à vivre de leur travail – j'ai eu l'occasion de discuter avec certains directeurs artistiques qui ne se versent pas de salaire pour consacrer tous leurs fonds aux disques qu'ils produisent –, maintiennent leur cap en osant défricher des répertoires rares quand les grosses firmes, en piétinant parfois un héritage qui devrait les remplir de respect – le cas du tour de passe-passe concernant le label Erato, cet ancien fleuron des éditeurs français réduit aujourd'hui à n'être que le cache-sexe transparent des turpitudes de Virgin, est tristement éloquent –, fourguent du récital à cocotes et du cross-over par palettes entières. Merci donc, entre autres, à Glossa, agOgique, L'Encelade, Cantus, Christophorus, Raumklang, CPO, Accent, Timpani, Passacaille, Hyperion, d'avoir suffisamment de considération envers le public pour miser sur son intelligence et sa curiosité plus que sur ses instincts moutonniers. Pour clore ce chapitre musical rétrospectif, je souhaite m'arrêter un court instant sur deux projets qui m'ont particulièrement touché durant l'année qui vient de s'écouler, chacun à un bout du spectre temporel que j'explore ici avec vous depuis bientôt 5 ans : d'un côté, Mater Salvatoris, une anthologie de pièces des XIIe et XIIIe siècles enchantées avec autant de science que de probité par l'Ensemble vocal de Notre-Dame de Paris, de l'autre, la Messe solennelle de Pâques de Martial Caillebotte, ressuscitée avec ferveur et tendresse par Michel Piquemal et ses troupes. Ces deux enregistrements réalisés avec peu de moyens, parus sans publicité et sans tapage, mais osant se frotter avec cœur et sincérité à des répertoires regardés avec dédain y compris par certains de ceux qui se posent en défenseurs de la musique sous réserve qu'elle leur apporte leur dose de lustre mondain, devraient faire périr de honte ceux qui n'ont à proposer qu'une énième version baignée d'angélisme à l'eau de rose du Stabat Mater de Pergolèse ou à minauder dans le Gloria de Poulenc.

En ces temps difficiles, il me semble essentiel que le public – nous tous, donc – sache rester curieux, aie l'audace de sortir des chemins balisés, afin que les marchands de soupe n'aient pas sans cesse le dernier mot. Encourageons les petits labels discographiques, les expositions ambitieuses, comme Un air de Renaissance ou Hieronymus Cock, soutenons sans faillir les libraires et le peu de disquaires qu'il reste en cessant d'alimenter l'amazone qui finira par les décimer si nous n'y prenons garde. Même si je suis souvent surpris de voir, depuis quelques mois, certaines personnes, pourtant du meilleur monde, qui ont laissé crever le disque dans la plus parfaite indifférence au nom d'un progrès dont ils se rengorgent aujourd'hui à grand coup de gadgets électroniques, défendre les librairies avec acharnement – deux poids, deux mesures, donc ? –, je ne peux que joindre ma voix à la leur pour rappeler que nos achats sont citoyens, qu'ils forgent le monde dans lequel nous vivrons demain et qu'il est donc temps de dire si nous voulons qu'il soit marqué du sceau de la diversité ou de l'uniformité et d'adapter notre comportement en conséquence, en cessant peut-être de nous comporter comme les enfants gâtés que nous sommes et qui, ayant le moyen d'assouvir d'un clic leurs désirs sans cesse sollicités, ne connaissent plus ni patience, ni mesure.

 

Après avoir été, en 2013, servis jusqu'à saturation en Wagner et en Verdi – pas ici, naturellement –, l'année 2014 devrait être heureusement plus chiche en hystérie lyrique. Elle marque cependant l'anniversaire du 250e anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), un des plus grands compositeurs français, que l'on espère voir mis à l'honneur autrement qu'au travers de compilations et de redites (de très belles Surprises de l'Amour ont paru chez Glossa, j'en reparlerai), fussent-elles encensées par la critique officielle, sachant que tout son œuvre n'a pas encore connu les honneurs du disque et que ce qui existe est parfois insuffisant. L'autre commémoration, qui risque fort de passer largement inaperçue en France, est celle du 300e anniversaire de la naissance de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), un prodigieux musicien qui a eu l'intelligence de savoir s'émanciper de la tutelle paternelle pour tracer une voie profondément originale et personnelle, en particulier dans le domaine la musique instrumentale, une ligne brûlante conduisant des derniers feux du baroque aux frémissements de l'aube du romantisme. Je tenterai, assez régulièrement, d'attirer votre attention sur son parcours et sa production, et j'ai volontairement choisi, pour accompagner ces lignes, une Sonate pour violon et clavier dont on ne parvient pas déterminer si elle est de la main du père ou du fils – peut-être des deux, au fond – mais dont la fluidité tout juste ombrée tantôt d'un rien de nostalgie, tantôt d'un soupçon d'emportement, m'a semblé idéale pour un lever de rideau.

 

Au premier jour de l'année nouvelle, je vous souhaite, ainsi qu'à ceux qui vous sont chers, un très heureux 2014 et je vous remercie pour la fidélité dont vous honorez Passée des arts.

 

Accompagnement musical :

 

Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), Sonate pour violon et clavier en sol mineur, H 545 (sans date, attribution incertaine) :

I. Allegro

II. Adagio

III. Allegro

 

Amandine Beyer, violon
Edna Stern, pianoforte

 

CPE Bach Sonates pour violon & pianoforte Amandine Beyer EdSonates pour violon et pianoforte. 1 CD Zig-Zag Territoires ZZT 050902. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

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14 juillet 2013 7 14 /07 /juillet /2013 08:47

 

Pierre Subleyras Portrait homme Giuseppe Baretti

Pierre Subleyras (Saint-Gilles du Gard, 1699-Rome, 1749)
Portrait d'homme
, peut-être Giuseppe Baretti, c.1745

Huile sur toile, 74 x 61 cm, Paris, Musée du Louvre

 

L'été a fini par arriver. On peut dire, sans exagération, qu'il est peu d'événements, du moins en France, qui furent guettés avec autant de fébrilité, cette dernière, entretenue quotidiennement par les médias de tout poil, ayant rapidement confiné à une hystérie aussi ridicule que tristement révélatrice de la civilisation des loisirs dans laquelle nous vivons ; alors que seuls auraient dû se plaindre ceux dont l'activité dépend directement des caprices du climat et que l'on a peu entendu, les contorsions et les minauderies météorologiques du microcosme médiatique qui fait l'opinion et peut se permettre de s'envoler à sa guise vers les destinations ensoleillées où ses représentants sont probablement, à l'heure où j'écris, en train de parfaire le bronzage qu'ils agiteront sous le nez de ceux qui les suivent encore, avaient quelque chose de profondément déplacé. Les choses ont enfin résolu de rentrer dans l'ordre et ceux qui ont la chance de pouvoir prendre des vacances ont rejoint leur lieu de villégiature ou le feront dans quelques semaines.

 

Comme tous les ans, ce blog va, lui aussi, adopter un rythme estival qui est le sien, les plus fidèles d'entre vous l'auront sans doute noté, depuis la mi-juin, date de la dernière chronique publiée. Je vous dois quelques explications sur ce silence, dont certains d'entre vous ont eu le gentillesse de s'inquiéter, comme en attestent les messages reçus en privé, dont je les remercie.

Cela fait bientôt quatre ans et demi que Passée des arts existe et je constate qu'il a, cette dernière année, dévié de l'objectif que je lui avais assigné au départ, en s'orientant vers une omniprésence des recensions de disques ou de concerts au détriment des autres matières. N'allez pas imaginer que je suis prompt à brûler mes vaisseaux : le travail de critique est aussi exigeant que passionnant et les bons échos que reçoivent certaines de mes chroniques m'incitent à le poursuivre. Il m'apparaît cependant de plus en plus clairement que l'harmonie globale de ce qui est proposé ici souffre nettement de l'absence de billets consacrés aux arts plastiques, part essentielle de l'étude, certes bien modeste, du dialogue entre les arts qui est tout mon propos, comme de la faible place réservée aux livres, aux lieux et à ceux que je nomme les « passeurs de patrimoine », dont j'aimerais pouvoir mettre en valeur le travail, souvent trop peu connu.

Je compte donc mettre à profit la période de calme relatif qui va courir au moins jusqu'au 15 août pour poursuivre le travail de réflexion entamé depuis un bon mois afin de faire évoluer Passée des arts dans le sens d'un meilleur équilibre entre les domaines qui y sont abordés, tout en publiant, ici et là, quelques brèves chroniques sur des projets qu'il me semble intéressant de vous faire connaître. Je demeure, bien entendu, à l'écoute de ceux d'entre vous qui souhaiteraient prendre un peu de leur temps pour me faire connaître, au moyen de l'adresse contact@passee-des-arts.com, une critique, un avis, une suggestion à propos de ce que le blog leur propose ou de ce qu'ils désireraient qu'il leur offre et j'assure d'ores et déjà les éventuels contributeurs de ma gratitude.

 

En vous remerciant une nouvelle fois pour votre fidélité, je vous souhaite, ainsi qu'à ceux qui vous sont chers, un très bel été.

 

Accompagnement musical :

 

François Couperin (1668-1733), Les Idées heureuses, tendrement, sans lenteur (Premier Livre des Pièces de clavecin, 2e ordre, 1713)

 

Violaine Cochard, clavecin anonyme fin XVIIe siècle, ravalé par Joseph Collesse en 1748 et restauré par Laurent Soumagnac entre 2000 et 2003

 

François Couperin Ordres pour clavecin 2 4 9 11 Violaine COrdres pour clavecin 2, 4, 9 et 11. 2 CD Ambroisie AM 154, qui peuvent être achetés en suivant ce lien.

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1 janvier 2013 2 01 /01 /janvier /2013 10:13

 

Rembrandt Christ et apôtres dans la tempête sur le lac de

Rembrandt Harmenszoon van Rijn (Leyde, 1606-Amsterdam, 1669),
Le Christ et les apôtres dans la tempête sur le lac de Tibériade
, 1633

Huile sur toile, 160 x 128 cm, Boston, Isabella Stewart Gardner Museum

 

Les Fêtes de l'an qui tourne, pour reprendre le titre d'un essai de la très regrettée et aujourd'hui trop négligée Marguerite Yourcenar, nous ramènent aux traditionnels vœux de début d'année, que je suis heureux de pouvoir vous adresser en ce premier jour de l'année, chers lecteurs.

 

J'imagine que certains auront déjà sourcillé en lisant le titre de ce billet et en découvrant les illustrations, picturale comme musicale, choisies pour accompagner ces quelques lignes. Je n'ignore pas qu'il est plus que jamais de bon ton, en une époque qui vient d'accueillir l’abréviation « lol » dans au moins un dictionnaire de langue française, de mettre de son côté les ricaneurs, si possible grotesquement tonitruants ou gloussants, et de se faire aussi inconsistant que cette ultime expression de la pensée contemporaine que semblent être devenus les gazouillis de certain réseau social dont le symbole ailé dit assez la légèreté, mais ce n'est définitivement pas mon fait. Alors que sont à peine dissipés les gargouillis et autres éructations d'une semaine de fêtes vidée de sens mais plus que jamais indécemment vautrée dans la surconsommation pour ceux qui le peuvent encore et ceux qui hélas s'endettent pour ne pas se sentir exclus de cette bacchanale, il me semble bon de rappeler que nous entrons dans une période de fortes turbulences, une traversée par gros temps sur une mer incertaine et hostile. Rassurez-vous, je ne vais pas déployer ici les litanies d'une crise dont nul ne peut ignorer les ravages, des promesses politiques fracassées sur les écueils d'une réalité peu soucieuse de réenchanter d'improbables rêves, des innombrables voies d'eau qui ne cessent de menacer d'engloutir ce qui constitue notre héritage historique et culturel ; tout ceci est hélas trop tristement présent dans le quotidien de la majorité d'entre nous pour qu'il soit nécessaire d'en rajouter.

En 2013, plus que jamais, les artistes et en particulier les musiciens, qui fournissent l'essentiel de la substance de ce blog, vont avoir besoin de notre soutien, car il est fort probable que l'année sera extrêmement difficile pour nombre d'entre eux, en particulier dans le monde de la musique ancienne, fragilisé par son manque de visibilité – il est quand même proprement scandaleux que les magazines ou sites de critique musicale ignorent ou expédient à la sauvette la majorité des disques consacrés au Moyen Âge et, dans une moindre mesure, à la Renaissance, laissant le public être la proie de qui leur vend du ménestrel braillant avec plume au chapeau et collant trop ajusté en leur laissant croire que ce folklore donne une juste image des répertoires médiévaux – , et dans celui de la musique baroque guetté par une uniformisation galopante qui commence à inquiéter certains de ses principaux acteurs comme le contre-ténor Max-Emmanuel Cencic qui déclarait récemment à un grand quotidien français : « L’opéra baroque est aujourd’hui incontournable pour la plupart des scènes du monde. Mais, à quelques exceptions près, on joue presque toujours les mêmes ouvrages, Giulio Cesare de Händel en tête. » J'ai fugacement souri en lisant cette phrase, me ressouvenant de m'être fait traiter de pisse-vinaigre lorsque j'avais osé dire, il y a un ou deux ans, qu'avec la frilosité induite par la crise, les salles et les festivals, certains de ces derniers étant clairement menacés dans leur existence même, mais aussi certains labels discographiques chercheraient de plus en plus à se rassurer en proposant des produits maintes fois réchauffés signés Vivhändel, bien sûr. Aujourd'hui, force est de constater que nous y sommes, mais peut-être le fait qu'un chanteur qui n'est pas le dernier à interpréter ces deux compositeurs ose le relever, tout en s'engageant personnellement dans l'exploration de terres jusqu'alors inconnues, comme il l'a démontré avec son récent Artaserse de Leonardo Vinci, provoquera une salutaire prise de conscience.

 

En dépit de tous ces signaux inquiétants, je ne peux et ne veux cependant m'empêcher d'être optimiste, car la jeune génération est là et bien là, et elle commence à glaner ses premiers lauriers qu'elle n'a pas usurpés. Vox Luminis a remporté en 2012 un succès fracassant en raflant deux trophées du prestigieux magazine Gramophone, dont celui du disque de l'année, pour ses Musikalische Exequien de Schütz, Mathieu Dupouy a confirmé qu'il était un claviériste riche de mille belles idées, le premier enregistrement de Lucile Boulanger et Arnaud De Pasquale a tenu la dragée haute à bien des grands noms, les Quatuors Ruggieri et Cambini-Paris ont porté haut les couleurs de la musique de chambre romantique française et Nicolas Couton celles de la symphonie, Il Festino et le Ludovice Ensemble nous ont démontré l'un que l'air de cour italien, l'autre que la cantate française étaient des univers passionnants, tandis que les Esprits Animaux enfiévraient Telemann. Demain, vous entendrez l'Ensemble Stravaganza briller dans la complexe musique autrichienne du XVIIe siècle et les Musicall Humors de Julien Léonard dans celle de l'Angleterre, Thomas Dunford enchanter Dowland et Qualia ressusciter des musiques de la fin du Moyen Âge que l'on pensait injouables, tandis que Le Miroir de Musique vous contera la naissance du violon quand l'Ensemble Epsilon vous entraînera dans le Lyon de la Renaissance, autant de raisons de rester confiant en l'avenir et d'oublier les projets saumâtres encouragés par des « grandes maisons » dont le profit est aujourd'hui l'unique raison de vivre et qui auront à cœur de vous asséner, cette année, de grands coups de Wagner et de Verdi, tous deux nés en 1813.

Comme l'ont compris ceux qui ont lu mon billet de cet automne intitulé Mémoires vives, la préservation et la transmission de la mémoire est au centre du projet de Passée des arts ; il se double également de la volonté de faire connaître, autant que possible, ces jeunes interprètes qui osent explorer de nouvelles voies et ne se contentent pas de thésauriser l'héritage que les générations précédentes ont constitué pour eux. La pire des choses qui pourrait arriver au monde de la musique ancienne serait de cesser d'être ce laboratoire permanent dont les propositions audacieuses ont contribué à changer radicalement, qu'on le reconnaisse ou non, la façon d'interpréter maints répertoires, y compris romantiques. Alors, s'il est évident que les douze mois qui sont aujourd'hui devant nous seront difficiles, périlleux, meurtriers, qu'ils soient aussi l'occasion pour tous ceux qui le souhaitent de se rassembler autour de ceux qui œuvrent pour nous transmettre les étincelles de beauté qui illuminent nos vies bien plus durablement que les paillettes des hystéries festives commandées.

 

À toutes et à tous, ainsi qu'à ceux qui vous sont chers, en pensée avec ceux qui souffrent et la mémoire de ceux qui nous ont quittés, je souhaite le meilleur pour l'année 2013.

 

Accompagnement musical :

 

Johann Jacob Froberger (1616-1667), Allemande, faite en passant le Rhin dans une barque en grand péril, extraite de la Suite XXIX pour clavier en mi bémol majeur (manuscrit de la Staatsbibliothek de Berlin)

 

Bob van Asperen, clavecin Joannes Ruckers le Jeune, Anvers, 1640

 

johann jacob froberger le passage du rhin bob van asperenLe Passage du Rhin(édition Froberger, volume I). 2 CD Aeolus AE-10024. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

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14 octobre 2012 7 14 /10 /octobre /2012 11:14

 

suiveur rembrandt homme lisant a une table

Suiveur de Rembrandt, Leyde, 2e quart du XVIIe siècle,
Homme lisant assis à une table
, c.1628-30 ?

Huile sur panneau de chêne, 55,1 x 46,5 cm, Londres, National Gallery

 

Mon cher Matthieu,

 

Voici donc revenue, alors que ta lettre me parvient, la saison des ciels gris et de la pluie qui nervure les vitres, cet automne que nos romantiques à l’eau de rose ont voulu souffreteux, vaguement poitrinaire et déjà hanté par les lueurs du sépulcre, quand il fut longtemps un temps d’abondance et de ripailles, durant lequel les seuls qui pouvaient réellement craindre pour leur vie étaient le gibier et les cochons dont la substance, transformée de mille façons, allait aider les Hommes à traverser le rude hiver.

 

Tu m’avoues être tenté, toi aussi, de faire des réserves, puisque tu envisages d’acquérir un de ces gadgets qui permettent d’emmagasiner d’importantes quantités de musique. Soit, mon ami, et comme tu me le demandes, je vais te confier mon opinion là-dessus. Bien sûr, il ne me viendrait pas à l’idée de nier que ces avancées technologiques sont une excellente chose et qu’outre gagner de la place, elles permettent de préserver la mémoire avec une efficacité inconnue des siècles passés ; imagine un instant que si ces moyens avaient existé jadis, nous pourrions aujourd’hui écouter le Requiem de Monteverdi ou le Stabat Mater de Mozart mentionnés dans les documents mais qui se sont volatilisés depuis. Je ne nie en rien non plus le côté pratique que peut avoir le fait de transporter avec soi tout ou partie de sa bibliothèque ou de sa discothèque et de trouver, sur une page électronique, un lien qui conduit vers une autre susceptible de l’éclairer. Mais, vois-tu, ce que j’observe aujourd’hui dans le processus de dématérialisation à l’œuvre dans nos sociétés prétendument modernes ne cesse de me ramener des années en arrière. Ceux qui se vantent, généralement bien haut, de pouvoir stocker mille recueils ou disques sur leur merveilleuses machines me font songer à ces gens que je visitais, enfant, en compagnie de mes parents et dont les bibliothèques bien remplies me faisaient rêver, moi qui avais peu de livres ; parfois, quand les adultes étaient occupés ailleurs, je m’enhardissais à en ouvrir quelques-uns et j’étais étonné de trouver des pages non coupées voire des volumes factices. C’est à l’image de ces intérieurs dans lesquels l’objet de culture est exposé pour impressionner mais n’est, au fond, qu’un marqueur social vaguement décoratif, que me renvoient ces jouets technologiques gavés de fichiers dont les trois quarts ne sont peut-être jamais ouverts mais que l’on détient pour épater son voisin, tu sais, un peu comme ces jeunes garçons qui s’escriment à pisser plus loin que leurs camarades pour leur en imposer. Que nous le reconnaissions ou non, l’usage majoritairement fait de ces gadgets nous rappelle que nous sommes en plein dans l’ère du papillonnage et de son complément naturel, la surconsommation, du vite acheté, vite remplacé, vite oublié, de la dictature de l’instant et du devoir jouir, de l’incapacité à assumer la lacune, le manque et, par là-même, le choix. Vois-tu, lorsque je voyage, un de mes soucis est justement de choisir la musique et les livres qui vont m’accompagner, comme on élit de véritables compagnons de route ; ces instruments de stockage éliminent de facto ce processus et contribuent à détruire également le rapport personnel à l’objet de culture. Finalement, à pouvoir être avec tout, on finit par n’être plus avec quoi que ce soit.

Ces réflexions m’incitent à te raconter quelque chose qui m’est arrivé récemment. Comme tu le sais, je me rends de temps à autre dans une boutique de disques d’occasion afin d’y dénicher ceux qui nourriront peut-être un jour mes Jalons. Lors de ma dernière visite, le vendeur, après m’avoir laissé chercher dans les rayons, m’indique, lorsque je pose près de sa caisse mon maigre butin, une dizaine de cartons entassés dans un coin, en me disant que j’y trouverai peut-être mon bonheur. Il m’explique, pendant que mes doigts vont fébrilement de tranche en tranche – Astrée, Harmonia Mundi, Arcana, chapelet de noms chers – qu’il a racheté cet ensemble à un quidam qui, en ayant hérité à la mort d’un parent mais n’aimant pas le « classique », souhaitait s’en défaire. Mon regard a changé au fur et à mesure qu’il me parlait, ma hâte s’est calmée pour se faire respect devant la conscience que j’étais en train de passer en revue les fragments d’une collection représentant autant de moments d’une vie aujourd’hui abolie. L’homme avait-il aimé Froberger joué par Blandine Verlet sur le clavecin Rückers du musée d’Unterlinden ? S’était-il ému aux Fantaisies de Jenkins dessinées par les archets d’Hespèrion XX ? Son exemplaire des Sonates et Partitas pour violon de Bach par Amandine Beyer est resté emballé, il n’a sans doute pas eu le temps de l’écouter avant de mourir ; m’est alors revenue en mémoire cette phrase d’André Tubeuf, que je trouve aussi belle que juste, « la musique vous réconcilie avec le fait d’être seul au monde – on dirait qu’elle a été faite pour cela. »

Lorsque je suis sorti de la boutique, je me suis dit que, d’une certaine façon, je prolongeais un peu cette existence en en emportant avec moi quelques traces qui vivraient au-delà d’elle le temps qui me serait alloué et que j’étais, sans rien en avoir décidé au départ, au cœur même d’un passage de témoin, comme il y en avait tant autrefois dans les familles où les livres se transmettaient d’une génération à l’autre. Tu vois, c’est encore une des choses que la dématérialisation risque de faire disparaître car, en niant l’objet, elle oublie qu’il possède une dimension qui dépasse son caractère matériel, ce caractère de symbole si bien senti et restitué, tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, par les peintres de ces natures si stupidement appelées mortes en France quand tous nos voisins européens ont bien compris qu’elles sont silencieuses. Pourquoi crois-tu que notre époque qui a fait du jetable une religion afflue en masse, dans le même temps, au moindre vide-grenier, à la plus petite brocante pour y chiner les témoignages d’un passé qu’elle a auparavant si orgueilleusement jetés par-dessus bord ? Pour en finir sur ce sujet, je t’avoue qu’un de mes soucis presque quotidiens est de savoir ce que va devenir ma collection à ma mort, puisque je n’ai et n’aurai pas d’héritier ; je ne suis pas bien certain qu’un jour quelqu’un se penchera à son tour sur elle et l’emportera comme un trésor.

 

Mais tu vas me trouver bien sombre, mon cher Matthieu, et aussi bien long, et tu te plaindrais à raison de ce que j’abuse de ta bienveillance et de ton temps. Je fais bien volontiers amende honorable, mais à qui d’autre qu’à un ami pourrais-je m’ouvrir de tout ceci ? Puissent ces quelques lignes te redire mon affection et ma joie de te lire bientôt.

 

Tuus quatenus suus,
Jean-Christophe

 

Accompagnement musical :

 

1. Johann Jakob Froberger (1616-1667), Toccata II en ré mineur

 

Blandine Verlet, clavecin de Hans Rückers II, 1624, Colmar, Musée d’Unterlinden

 

froberger pieces de clavecin blandine verlet 1989Pièces de clavecin. 1 CD Astrée E 8716. Indisponible

 

2. John Jenkins (1592-1678), The bell Pavan

 

Hespèrion XX
Jordi Savall, dessus de viole & direction

 

john jenkins consort music hesperion xx savallConsort music for viols in six parts. 1 CD Astrée E 8724. Indisponible

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15 juillet 2012 7 15 /07 /juillet /2012 11:14

 

joshua reynolds mr huddesford and bampfylde

Sir Joshua Reynolds (Plympton, 1723-Londres, 1792),
Mr Huddesford and Mr Bampfylde
, c.1778

Huile sur toile, 125,1 x 99,7 cm, Londres, Tate Gallery
(Photographie © Tate)

 

Mon cher Matthieu,

 

Ta lettre m’est bien parvenue et je te remercie d’avoir pris la peine de m’écrire un peu longuement avant de partir, comme chaque année, arpenter les routes de France pour rejoindre les festivals que tu affectionnes.

 

Tu me demandes si je ne suis pas lassé de consacrer autant de mon temps à l’écoute et à l’étude de la musique enregistrée et si je ne suis pas parfois saisi de fourmillements m’incitant, comme toi, à courir de concert en concert. Ces deux pratiques étant pour moi complémentaires, ma réponse sera obligatoirement nuancée ; en effet, si je prends toujours un réel plaisir, comme j’espère le faire occasionnellement cet été, à aller entendre les artistes en direct et si je reconnais bien volontiers que le frisson procuré par l’immédiateté d’une telle expérience demeure irremplaçable, il faut bien reconnaître que ces spectacles restent essentiellement réservés à ceux qui peuvent matériellement se les offrir – songe un peu qu’outre le paiement de ta place, à moins qu’ils se déroulent non loin de chez toi, il te faudra songer à celui du gîte et du couvert – et qu’à moins d’être radiodiffusés, ce qui, à mon goût, n’arrive encore que trop peu souvent, ils ne concernent qu’un nombre très restreint d’auditeurs. Qui plus est, je suppose que tu as remarqué, tout comme moi, qu’à côté de festivals courageux, dont certains ont d’ailleurs été à l’honneur sur mon blog, qui osent un véritable effort de programmation, certaines institutions, et non des moindres, songent avant tout à la rentabilité, laquelle passe inévitablement par une standardisation de l’offre. L’exemple le plus criant est sans doute ce qui se passe depuis deux ans à Versailles ; après une édition, en 2011, qui faisait prendre aux spectateurs des vessies vénitiennes pour des lanternes Grand Siècle, le pompeusement intitulé Triomphe de Händel a surtout signé la défaite irrémédiable de l’originalité de la programmation versaillaise, dont tu auras noté que cette année 2012 marque avant tout celle de la disparition de l’automne musical auquel nous devons tant de découvertes. Je t’avoue avoir trouvé assez cocasse de voir ceux qui, hier, n’avaient pas de mots assez durs pour pourfendre, non sans raisons, le m’as-tu-vu de la mandature passée aller dodeliner en se rengorgeant à cette manifestation dont la seule valeur est celle, élevée, de ses tickets d’entrée.

Je t’avoue, en toute franchise, que le règne des apparences et de l’événementiel me lassent considérablement. Je comprends, bien entendu, que d’aucuns aient envie de parler de musique ou de peinture sur un mode purement émotionnel et spontané, érigeant leurs « j’aime » ou « je n’aime pas » en vérité du jour et ne cherchant pas plus loin – tant de critiques agissent ainsi, au fond –, ou multipliant tant les coups de cœur et les accointances avec tel ou tel que, pour paraphraser le regretté Daniel Arasse, on finit par n’y plus rien voir ; ce n’est simplement pas mon fait. D’une certaine façon, pour répondre à une autre de tes questions, la rubrique Jalons de Passée des arts n’aurait sans doute pas pu voir le jour sans la conscience de cette impossibilité ; sa création est, au sens propre du terme, réactionnaire, car elle s’inscrit au rebours de la mode du jour qui survalorise le papillonnage, l’immédiat, la nouveauté. C’est un chemin de mémoire, l’esquisse d’un inventaire, l’affirmation que, n’en déplaise à la rapacité des puissances marchandes du jour qui voudraient tant que la musique se résumât à des fichiers téléchargés, le disque reste encore la meilleure manière pour qu’elle aille, de façon pérenne, d’une âme à une autre. Imagine un instant mon émotion, lorsque j’ai tenu tout à l’heure dans mes mains l’édition princeps du premier disque de La Reverdie, petit morceau d’histoire de l’interprétation de la musique médiévale trouvé pour trois fois rien chez un disquaire d’occasion et que j’espère partager un jour avec qui en voudra. Je ne suis pas collectionneur, comme tu le sais, mais je tiens néanmoins à retrouver ces originaux, souvent plus frustes que leurs rééditions, parce qu’ils sont à mes yeux plus que des objets – essaie de faire comprendre ça à qui ne raisonne qu’en termes de profits – et, vois-tu, même la patience nécessaire à leur recherche s’oppose à notre époque d’enfants gâtés prompts à trépigner devant le moindre ralentissement. Aussi étonnant que ceci puisse te paraître, cet ancrage temporel très fort permet simultanément de s’en dégager.

 

Mais je parle et abuse de ton amicale patience, cher Matthieu. Je te souhaite, ainsi qu’aux tiens, un très bel été et espère te retrouver en pleine forme à ton retour, où tu découvriras probablement quelques notifications de publication dont le volume t’apprendra si tes semaines d’absence ont été, pour moi, studieuses ou paresseuses. Puisse la musique, celle qui est vivante parce que nous la partageons et non parce qu’une quelconque autorité la qualifie ainsi, t’accompagner fidèlement, comme mes pensées le font.

 

À très bientôt.

 

Vive valeque,

Jean-Christophe

 

Accompagnement musical :

 

Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), Sonate pour deux violons et basse continue en ut mineur, Wq 161/1-H. 579, « Sanguineus und Melancholicus » :
[I.] Allegretto

 

Les Nièces de Rameau :
Florence Malgoire & Alice Piérot, violon
Marianne Muller, viole de gambe
Aline Zylberajch, clavecin

 

cpe bach sanguineus melancholicus les nieces de rameauSonates en trio. 1 CD Zig-Zag Territoires ZZT 030701. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

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11 mars 2012 7 11 /03 /mars /2012 11:18

 

« Vouloir être dans le vent est une ambition de feuille morte. » Jean Guitton

 

jean simeon chardin chimiste dans son laboratoireJean Siméon Chardin (Paris, 1699-1779),
Un chimiste dans son atelier
, 1734.

Huile sur toile, 138 x 105 cm, Paris, Musée du Louvre.
(photographie © RMN-GP/René-Gabriel Ojéda)

 

Il y a exactement trois ans, le 11 mars 2009, paraissait Comme si c’était la première fois, billet inaugural de Passée des arts dans lequel un mouvement d’un Trio de mon cher Haydn dialoguait avec un paysage enneigé capturé au Champ du Feu, entre Alsace et Vosges. Je ne suis pas un fanatique des anniversaires, mais je souhaite néanmoins saisir l’occasion que m’offre celui-ci faire avec vous un bref bilan et de lever un coin du voile sur la fabrique de ce site.

 

Vous êtes actuellement plus d’un millier à suivre directement l’actualité de Passée des arts, 280 s’étant inscrits à sa lettre d’information, 795 à sa page Facebook, et les 227 billets publiés à ce jour ont reçu de votre part un peu plus de 2870 commentaires, tandis que, depuis sa création, le blog a reçu 147094 visites pour 300794 pages vues. Voici pour les chiffres bruts relevés ce matin, dont j’ignore complètement s’ils sont ou non satisfaisants dans l’absolu, mais qui sont, pour moi, assez inespérés. Je n’aurais pas imaginé un seul instant, en me lançant dans cette aventure, pouvoir rassembler autour d’expressions artistiques dont la plus récente doit remonter, au bas mot et sauf exceptions, à une bonne centaine d’années, un nombre de personnes aussi important, de tous âges et de tous horizons. Ce constat conforte une de mes convictions, celle que la culture, dès lors qu’il se trouve quelqu’un s’en faire, aussi modestement soit-ce, le passeur, se rit des différences de condition sociale, comme elle se moque de l’orientation politique, religieuse ou autre. Le « gros rouge qui tache » et « le réenchantement du rêve » que nos politiciens réservent aujourd’hui au peuple français qu’ils ont momentanément sans cesse en bouche et habituellement si peu au cœur et qu’ils opposent, pour les besoins du théâtre, aux élites est, pire qu’une impasse, un mépris ; c’est oublier un peu vite que les gens qui, souvent grâce à la médiation providentielle d’un enseignant, d’un parent, d’un ami, parviennent à s’extirper de l’abrutissement orchestré par la télévision ou les réseaux sociaux, sont pleinement capables de goûter les arts, quand tant de nantis de la fortune ne voient en eux, au mieux qu’un placement, au pire qu’une mondanité parmi d’autres dont ils s’acquittent en bâillant. Il faut avoir croisé le regard brillant d’un jeune bûcheron au sortir de son premier cours de violon ou observé l’émotion d’un homme armé de son seul brevet d’études du premier cycle devant un Lubin Baugin pour que tout ceci s’impose avec la force de l’évidence et je suis certain que vous auriez, vous aussi, mille exemples à me fournir.

Mais, pour que ces petits miracles puissent avoir lieu, il faut consentir à ce à quoi nos sociétés, toutes obsédées par le confort et la possession du superflu quand tant manquent de l’essentiel, rechignent le plus : l’effort, mot honni comme ceux de réflexion, d’intégrité, de constance. Il est, en effet, tellement plus valorisant, de nos jours, de s’enticher de la moindre mode, de tenter de paraître ce que l’on n’est pas, de papillonner sans jamais s’arrêter sur les choses plus d’un instant, de s’esclaffer ou de s’indigner bruyamment pour paraître cool, de prêter le flanc à une ère du saupoudrage que le premier coup de vent dissipera. Au rebours de tout ceci, sans parler des articles « de fond » sur tel compositeur ou tel peintre qui nécessitent une assez longue élaboration (plusieurs mois, souvent), chaque chronique musicale publiée sur Passée des arts représente un minimum de trois jours de travail, sans compter le temps dédié à la documentation ou aux écoutes, une dizaine au bas mot pour chaque disque critiqué. Je ne peux me résoudre, en effet, à traiter d’un disque en quinze ou vingt lignes à la syntaxe parfois approximative ne reposant, faute de recherches sérieuses, que sur l’humeur du rédacteur ou ses accointances avec tel ou tel artiste, dérives trop souvent constatées, y compris dans des médias réputés sérieux. J’estime, pour ma part, que les lecteurs, mais aussi les musiciens, labels ou institutions qui m’honorent de leur confiance méritent un peu plus de soin et de considération, de la même façon que, pour des raisons évidentes d’honnêteté, je me tiens rigoureusement à l’écart des coteries unanimement favorables à tel soliste ou ensemble. À mes yeux, en effet, rien n’est plus dangereux pour la justesse d’une appréciation que l’esprit de chapelle, y compris et peut-être même surtout pour les interprètes eux-mêmes, abusés sur leurs éventuelles faiblesses par les flots de flatteries répandus par leur thuriféraires, qu’il est souvent plus agréable à certains d’écouter que le plus modéré des grondeurs, quand une majorité accueille heureusement bien les remarques pour peu qu’elles soient étayées et exprimées avec le respect qui convient. Je mets, en revanche, un point d’honneur à ne me livrer à aucune curée quand une réalisation m’a déçu voire indigné, partant du principe que les artistes ont toujours, sauf exception dictée par le goût de l’argent ou de la flagornerie, d’excellentes raisons de faire ce qu’ils font et que l’âne, c’est moi.

 

On m’a souvent reproché de ne jamais parler de moi sur ce blog. Je pense déjà en dévoiler trop, mes choix de musiques et de tableaux étant sans doute plus éloquents que bien des confessions, et ne crois pas que ce que je suis présente un intérêt si grand qu’il soit nécessaire de s’y arrêter. Au terme de ce billet, vous en savez néanmoins un peu plus sur l’idée que je me fais de ma tâche sur Passée des arts et ma façon de la conduire. Il me reste à exprimer ma gratitude aux acteurs du monde de la musique, les artistes, bien sûr, mais aussi le groupe Outhere et le label agOgique, le Palazzetto Bru Zane-Centre de musique romantique française, les agences Accent Tonique, Bleu Dièse et Clara Musica, sans oublier – elles se reconnaîtront – quelques bonnes volontés isolées, en particulier du côté des organisateurs de concert, pour la confiance qu’ils me témoignent, directement ou indirectement. Je ne vous oublie pas, chers lecteurs, c’est avec vous que je souhaite terminer ces lignes qui vous reviennent entièrement, puisque vous en êtes l’origine et la destination. Soyez sincèrement remerciés d’être, par votre présence et votre fidélité, le plus efficace des aiguillons et la meilleure – la seule – raison de poursuivre ce travail qui nous réunit. Puissions-nous, si tel est votre souhait et si ce blog continue à vivre, nous retrouver encore longtemps autour de nouveaux anniversaires.

 

Accompagnement musical :

 

Marin Marais (1656-1728), Dialogue, extrait des Pièces de viole, Cinquième Livre (1725)

 

Sophie Watillon, basse de viole
Friederike Heumann, basse de viole, Xavier Diaz, théorbe, Evangelina Mascardi, guitare baroque, Luca Guglielmi, clavecin

 

marin marais reveuse autres pieces violes sophie watillonLa Rêveuse & autres pièces de viole. 1 CD Alpha 036, Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien et des extraits de chaque plage peuvent en être écoutés ci-dessous :

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