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14 juillet 2014 1 14 /07 /juillet /2014 08:47

 

Un soldat belge assis près d'une tombe 1917

Anonyme, Soldat belge assis près d'une sépulture de guerre, 9 septembre 1917
Tirage sur papier, 165 x 216 mm, Londres, Imperial War Museum

 

La Première Guerre mondiale a laissé sur la musique britannique une profonde empreinte et engendré nombre de partitions dont la plus célèbre est, sans doute, la Pastoral Symphony (1922) de Ralph Vaughan Williams, vers laquelle je reviendrai sans doute quelque jour.

Trop jeune pour prendre part, comme son illustre aîné, au conflit qui éclata quelques semaines après son treizième anniversaire, le 14 juillet, Gerald Finzi n'en fut pas moins, comme nombre de ses compatriotes, rudement éprouvé par ses retombées, puisque son professeur de composition, Ernest Farrar trouva la mort à Épehy, dans la Somme, le 18 septembre 1918. En 1923, alors qu'il était installé avec sa mère dans le Gloucestershire depuis un an, il composa une song, Only a man harrowing clods, sur un texte de Thomas Hardy (1840-1928), un auteur avec lequel il se sentait de profondes affinités, puisqu'il avait déjà choisi de mettre six de ses poèmes en musique dans son tout premier cycle de mélodies, By Footpath and Stile (op.2, 1921-22) et qu'il revint ensuite très régulièrement chercher son inspiration chez cet auteur. Cette pièce isolée pour baryton et piano devait, après avoir été partiellement réécrite et non sans des hésitations dont témoigne le caractère fortement lacunaire de son orchestration (complétée à partir de 1984 par Philip Thomas), constituer le troisième mouvement du Requiem da Camera de Finzi, composé en 1924 et dédié à la mémoire d'Ernest Farrar. Outre cette volonté de rendre hommage à son maître, on ignore ce qui poussa exactement le compositeur à se lancer dans l'écriture de cette œuvre, mais l'on peut conjecturer que l'annonce de la folie et de l'internement, en septembre 1922, d'Ivor Gurney (1890-1937), poète et musicien pour lequel Finzi avait une sincère admiration, qui avait combattu en France et y avait été blessé et gazé en 1917, n'y est sans doute pas étrangère.

Commençant dans une atmosphère sombre, comme une marche vers l'inéluctable rythmée par le glas, Only a man harrowing clods,qui oppose à l'horreur de la guerre la sérénité des choses immuables que sont les travaux des champs et le sentiment de la nature, s'allège à mesure de son avancée pour prendre des teintes discrètement plus lumineuses lorsque survient la dernière strophe évoquant un couple d'amoureux, comme une promesse éclairant l'avenir — la terre labourée et le feu de chiendent évoqués dans la première et la deuxième strophes peuvent être vues comme des images symboliques des épreuves à surmonter pour que puisse germer, s'il ne meurt, le grain de demain.

Avec cette œuvre volontairement traitée en usant d'une palette de couleurs restreinte et d'une émotion contenue, Gerald Finzi, puisant dans son âme inquiète qui le sensibilisait particulièrement à l'éphémère de toute vie, de toute chose, délivre un message de mémoire et d'espoir qui conserve intact, aujourd'hui encore, tout son pouvoir d'évocation.

 

Gerald Finzi (1901-1956), « Only a man harrowing clods » (1923)
Texte de Thomas Hardy (1840-1928), In Time of 'The Breaking of Nations' (première publication : 19 janvier 1916)

 

Only a man harrowing clods
In a slow silent walk
With an old horse that stumbles ans nods
Half asleep as they stalk.

 

Only thin smoke without flame
From the heaps of couch-grass ;
Yet this will go onward the same
Though Dynasties pass.

 

Yonder a maid and her wight
Come whispering by :
War’s annals will cloud into night
Ere their story die.

 

Stephen Varcoe, baryton
Clifford Benson, piano

 

War's Embers Songs by Browne Butterworth Farrar Finzi GurneWar's Embers, mélodies de W Denis Browne, George Butterworth, Ernest Farrar, Gerald Finzi, Ivor Gurney et Frederick Kelly

 

2 CD Hyperion CDA 66261/2 (1988, réédité en 1997 sous référence CDD 22026) disponibles en service d'archives chez l'éditeur en suivant ce lien, ou en réédition partielle (compilation des deux disques d'origine) sous référence CDH 55237

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10 juillet 2014 4 10 /07 /juillet /2014 08:49

 

En 2008, les commémorations du cinquantième anniversaire de la mort de Ralph Vaughan Williams donnèrent lieu, en Angleterre, à la concrétisation d'un certain nombre de projets dont, entre autres, la publication, aux bons soins de Hugh Cobbe, d'un volume contenant plus de 750 lettres du compositeur, et la réalisation de deux documentaires aux ambitions très différentes, l'un signé Tony Palmer, O Thou Transcendent : The life of Ralph Vaughan Williams, très complet et fouillé, incluant, en particulier, un certain nombre d'entretiens avec des musiciens d'aujourd'hui s'exprimant sur l'influence de l'œuvre de leur glorieux aîné, l'autre signé John Bridcut, dont le titre dévoile assez bien le propos : The Passions of Vaughan Williams.

Ce sont, en premier lieu, des raisons de disponibilité immédiate qui m'ont fait choisir de vous proposer aujourd'hui ce dernier, le film de Palmer ne se trouvant qu'en DVD (on peut l'acquérir assez facilement sur tel ou tel site marchand), tandis que l'internaute qui propose, sur sa chaîne You Tube nommée AntPDC, un choix souvent heureux de musique britannique, a eu l'excellente idée, en en altérant légèrement la qualité – passage de la couleur au noir et blanc, ce qui, soit dit en passant, est loin d'être gênant – de proposer celui de Bridcut, qui n'a fait, à ma connaissance, l'objet d'aucune édition spécifique.

Ralph Vaughan Williams by Yousuf KarshJe pense néanmoins que, pour ce qui constituera probablement, pour la majorité des lecteurs, une première approche un tant soit peu substantielle de l'univers de Vaughan Williams, ce documentaire construit de façon rythmée, avec une approche délibérément moins « musicologique » et pourtant informée, ce qui est naturellement possible sauf, paraît-il, chez le France Musique qu'on nous prépare pour la rentrée, que son concurrent, représente une excellente introduction. Je ne méconnais cependant pas les limites d'une entreprise qui fait la part belle au Vaughan Williams privé, grand séducteur, ayant vécu une grande partie de sa vie entre deux femmes – raison et sentiments, there is nothing new under the (english) sun – et axe surtout le propos sur sa musique symphonique et chorale, en oubliant un peu trop le compositeur de mélodies, de musique de chambre et d'opéra qu'il fut aussi. Il aurait sans doute également été intéressant de développer le chapitre des apprentissages auprès de – et en réaction à – Stanford, Wood et Parry, et les rencontres décisives avec Bruch et Ravel, tout comme la façon dont la trajectoire du jeune Ralph s'inscrivait à la fois dans et légèrement en dehors de ce qui était socialement acceptable aux yeux du milieu dont il était issu.

Malgré ces réserves, la réalisation de Bridcut a l'avantage de dresser de Vaughan Williams un portrait vibrant et vivant dont l'objectif n'est surtout pas d'aboutir à une statue du commandeur, ce dont on ne peut que lui savoir gré. On sent, au travers des témoignages et, bien sûr, des musiques – mention toute particulière aux moments consacrées à la Fantasia on a theme by Thomas Tallis, point de bascule d'une carrière, et aux œuvres inspirées par les deux guerres mondiales que ce musicien engagé traversa en y prenant activement part – qui émaillent le récit, circuler un souffle vital si puissant que l'on comprend sans aucun mal qu'il puisse, aujourd'hui encore, être une source d'inspiration pour beaucoup.

 

J'espère que vous éprouverez le même plaisir et les mêmes émotions que moi durant cette heure et demie délivrée dans un anglais facilement compréhensible et qu'elle vous donnera l'envie de partir à la découverte d'une œuvre qui est indubitablement un des achèvements majeurs du XXe siècle, tous pays confondus.

 

Crédit photographique :

 

Yousuf Karsh (Mardin, Turquie, 1908-Boston, 2002), Ralph Vaughan Williams, 1949. Tirage au gélatino-bromure d'argent, 31,5 x 25,5 cm, Londres, National Portrait Gallery © Karsh / Camera Press

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3 juillet 2014 4 03 /07 /juillet /2014 08:03

 

Walter Richard Sickert Tipperary

Walter Richard Sickert (Munich, 1860-Bath, 1942),
Tipperary, 1914
Huile sur toile, 50,8 x 40,6 cm, Londres, Tate Gallery

 

Lorsque l'on évoque, de notre côté de la Manche, le nom de Frank Bridge, c'est généralement pour mentionner qu'il fut le professeur d'un des trop rares compositeurs britanniques du XXe siècle à être régulièrement joué en France, Benjamin Britten. Outre l'hommage qu'il lui rendit dans ses Variations on a theme of Frank Bridge (op.10, 1937), lesquelles touchèrent durablement le maître qui écrivit à son brillant élève que c'était l'une des rares belles choses qui lui soient arrivées, ce dernier devint également, après la mort de Bridge, un des plus ardents défenseurs de sa musique qui, sans sa ténacité – il enregistra notamment aux côtés de Mstislav Rostropovitch, pour Decca, sa Sonate pour violoncelle et piano dans un couplage astucieux avec la célèbre Sonate « Arpeggione » de Schubert –, aurait sans doute continué à essuyer la même indifférence polie qui avait été son lot après la guerre.

La Grande guerre joua, en effet, un rôle-clé dans l'évolution de Bridge, un homme profondément pacifiste pour lequel le récit des atrocités du conflit mondial sonnèrent probablement comme une expulsion du jardin d’Éden. Avant cette fracture, ce brillant élève de Charles Villiers Stanford (1852-1924), né dans une famille musicienne de Brighton en 1879, ayant fait des études de violon – il se tournera ensuite vers l'alto – et de composition au Royal College of Music, avait su se bâtir rapidement une excellente réputation de chef d'orchestre et de chambriste, livrant également des partitions plus que prometteuses, comme le poème symphonique Isabella (1907) ou la suite The Sea (1910-11), ou encore le Phantasy Piano Quartet en fa dièse mineur. Cette œuvre, achevée en juin 1910, est le fruit d'une commande de Walter Wilson Cobbett organisateur, à partir de 1905, de concours annuels de musique de chambre visant, en particulier, à mettre en valeur la Phantasie, dans une double logique typique de l'esprit régnant alors dans l'Angleterre musicale, consistant à favoriser l'éclosion d'une jeune garde de compositeurs, Frank Bridgetout en s'inscrivant dans l'héritage de l'époque élisabéthaine et du XVIIe siècle, regardés alors comme un âge d'or de la musique anglaise. Bridge avait été de cette aventure dès le début, remportant la compétition de 1907 avec sa Phantasie en ut mineur (un trio pour piano), et Cobbett fit donc tout naturellement appel à lui lorsqu'il demanda à onze compositeurs, dont Ralph Vaughan Williams, de lui écrire chacun une Fantaisie pour ensemble de chambre. En un seul mouvement, le Phantasy Piano Quartet est typique de la première manière de Bridge, très redevable envers les élans passionnés du post-romantisme germanique dans la lignée de Brahms, mais ses demi-jours quelquefois elliptiques semblent souvent regarder du côté de la musique française, en particulier de Fauré. Composée entre 1913 et 1917, la Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur constitue non seulement une parfaite illustration de l'évolution stylistique du musicien d'un lyrisme chaleureux vers une manière plus incisive, plus décantée, mais surtout un témoignage souvent très émouvant, par sa pudeur même, du traumatisme intime que constitua pour lui la déflagration de la guerre. Cette Sonate est un Janus dont le premier mouvement est encore empreint d'une frémissante grâce post-romantique, tandis que le second durcit le ton, osant parfois la grimace et la colère sourde, faisant percevoir la survenue puis l'amoncellement de nuées de cauchemar au ciel d'une pastorale qui bascule du côté de la grisaille, puis de la désolation. La Sonate pour violon et piano a, elle, été achevée en 1932 au bout d'un difficile processus de composition. En un seul mouvement au sein duquel se succèdent des sections contrastantes (AllegroAndanteScherzo et deux Trios – Finale récapitulatif), cette partition fut accueillie, comme nombre de celles de la seconde manière de Bridge qui atteste de son intérêt pour les innovations de la seconde école de Vienne, avec circonspection ; les dissonances, les turbulences et les brusques changements d'éclairage qui émaillent son cours en font, malgré une maîtrise d'écriture absolument évidente, une œuvre complexe, souvent âpre et parfois déroutante. On ne s'étonnera guère qu'un compositeur au parcours aussi atypique, si l'on considère la domination sur la musique britannique de l'époque des figures d'Elgar (1857-1934) puis de Vaughan Williams (1872-1958) – pour simplifier à l'excès, la noblesse d'un côté, la pastorale de l'autre –, ait été peu sensible, contrairement à ses contemporains, au mouvement de reviviscence du patrimoine musical historique ou populaire de son pays. Il le montre dans sa façon de traiter des mélodies connus tels que The Londonderry Air ou Sir Roger de Coverley qui deviennent prétexte à se laisser aller à une inventivité foisonnante, laquelle n'hésite pas à bousculer les traditions pour mieux s'approprier ces thèmes et en faire le terreau d'œuvres originales.

 

Serviteurs émérites du répertoire britannique – mais pas seulement, puisqu'on leur doit également de très beaux Poulenc et Saint-Saëns –, les musiciens du Nash Ensemble livrent avec ce disque consacré à Frank Bridge une anthologie de tout premier plan, tant par la qualité de son interprétation que par l'intelligence de son programme qui permet un tour d'horizon complet de l'évolution du compositeur. Le Phantasy Piano Quartet est ainsi rendu avec le juste équilibre entre fougue et distance qui permet d'entrevoir, souvent à peines esquissée mais pourtant perceptible, l'ébauche des chemins que son créateur empruntera ensuite, The Nash Ensembletandis que la Sonate pour violoncelle et piano sonne ici, dès ses premières mesures, comme un émouvant adieu au monde que la guerre est en train de réduire à néant. Les quatre pièces pour quatuor fondées sur des thèmes populaires, abordées avec un enthousiasme revigorant, sont à la fois pleines de fraîcheur, de rebond et d'esprit, la Sonate pour violon et piano trouvant ici une lecture à la fois sensible et un rien hautaine qui me semble rendre parfaitement justice à son caractère décanté comme à ses bouffées de lyrisme contenu. Outre une technique irréprochable, les interprètes font montre d'un investissement et d'une sensibilité de tous les instants et rendent, par là même, un fantastique service à ces pièces qui sont rarement apparues aussi proches, aussi vibrantes, tout en ne reniant rien de leur complexité et de leur profonde originalité.

The Nash Ensemble signe donc ici une parfaite réussite qui constitue, à mon avis, le disque idéal pour aborder la production chambriste de Bridge mais que je recommande également, au-delà de ceux du répertoire britannique, à tous les amateurs de musique de chambre qui ne regretteront pas d'avoir fait traverser la Manche à leur curiosité.

 

Frank Bridge Phantasy Quartet Sonatas Nash EnsembleFrank Bridge (1879-1941), Phantasy Piano Quartet en fa dièse mineur, Sonate pour violoncelle et piano, quatre pièces pour quatuor à cordes : An Irish Melody : The Londonderry Air, Cherry Ripe, Sally in our alley, Sir Roger de Coverley, Sonate pour violon et piano

 

The Nash Ensemble
Marianne Thorsen, violon (soliste dans la Sonate)
Laura Samuel, violon
Lawrence Power, alto
Paul Watkins, violoncelle
Ian Brown, piano

 

incontournable passee des arts1 CD [durée totale : 79'46"] Hyperion CDA68003. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien et au format numérique sur Qobuz.com

 

Extrait proposé :

 

Sonate pour violoncelle et piano :
[II] Adagio ma non troppoMolto allegro e agitatoAdagio ma non troppoAllegro moderato 

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Crédits :

 

Photographie de Frank Bridge : © Edward Gooch/Hulton Archive

 

Photographie du Nash Ensemble : © Hanya Chlala/ArenaPAL

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