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1 août 2013 4 01 /08 /août /2013 08:18

 

Rosa e Orticha, Ensemble Syntagma 

Mundus et Musica, Qualia

 

 

La rose et l'ortie, le monde et la musique, deux titres comme autant de visages d'une musique ancienne que l'on découvre toujours plus multiforme. D'un côté, l'évocation des senteurs d'un jardin médiéval que l'on découvre italien en en franchissant le seuil, de l'autre celle de l'atmosphère du cabinet d'un savant au début de la Renaissance dans la pénombre duquel s'élaboreraient les compositions les plus fantasques. J'ai souhaité vous présenter conjointement ces disques publiés par Carpe Diem, un label indépendant dont le nom teinté d'hédonisme ne doit pas faire oublier le courage qu'il faut aujourd'hui pour enregistrer ces répertoires réputés si peu vendeurs, car si tout semble les opposer, ils sont indiscutablement unis par un raffinement commun mais aussi par leur dette évidente envers le travail mené par Pedro Memelsdorff à la tête de son ensemble Mala Punica, dont on s'aperçoit, au fil des années, à quel point il a profondément bouleversé l'approche de ces musiques.

Andrea di Bonaiuto da Firenze Exaltation oeuvre DominicainsAndrea di Bonaiuto, dit Andrea da Firenze (Florence, fl. 1346-1379),
L'Exaltation de l’œuvre des Dominicains
(détail), c.1366-68
Fresque, Florence, Basilique Santa Maria Novella, salle capitulaire

 

Le nom de l'ensemble Syntagma n'est pas inconnu à ceux qui s'intéressent à la musique du Moyen Âge dont ils ont exploré, souvent avec une belle réussite, des pans septentrionaux assez négligés, comme les trouvères lorrains, en particulier Gautier d'Épinal, ou de plus méridionaux, aujourd'hui mieux connus, tels la seconde moitié du Trecento italien à laquelle est consacré Rosa e Orticha, quatrième disque des musiciens réunis autour d'Alexandre Danilevski. Cette fort belle anthologie, semée de ces gemmes brillants signés par des compositeurs actifs dans le dernier quart du XIVe siècle et aujourd'hui obscurs, nous entraîne dans les cours ultramontaines où l'on déployait alors des trésors d'inventivité pour offrir des œuvres conjuguant à la fois complexité d'écriture et fluidité mélodique, une synthèse qui, s'il elle regarde parfois vers la subtilitas française contemporaine, en tempère les folles et quelquefois arides spéculations en adoptant des rythmes de danse et en faisant place à un certain lyrisme, tous deux garants d'un réel pouvoir de séduction. Une des formes les plus en vogue de cette époque et largement représentée dans Rosa e Orticha est la ballata, une chanson aux origines chorégraphiques qui devint polyphonique à partir des années 1360 et jouit d'une grande popularité jusqu'au début du siècle suivant. Je ne serais d'ailleurs pas totalement surpris qu'Andrea da Firenze ou le commanditaire des fresques de la salle capitulaire de Santa Maria Novella, lorsqu'ils décidèrent d'y faire figurer des groupes de musiciens, chanteurs et danseurs, aient eu à l'esprit ce type de pièce, dont on sait qu'il était très goûté dans les cercles lettrés florentins.

SyntagmaUne des grandes vertus de l'enregistrement de l'Ensemble Syntagma est de ne perdre de vue aucune des caractéristiques de ces musiques et d'en proposer une lecture d'une grande beauté sonore, bien mise en valeur par une prise de son réverbérée mais sans excès, servie par de très bons chanteurs et instrumentistes dont on sent qu'ils ont pris le temps de travailler leur sujet. Si elle cède parfois à la mode de ces improvisations instrumentales, plus ou moins développées, avec flûte et à des couleurs un rien orientalisantes, éléments dont il est permis de douter de l'absolue rectitude historique, il faut louer cette interprétation de s'en tenir à un usage raisonnable des percussions et de faire la part belle à des textures à la fois bien maîtrisées et sensuelles, toujours d'une grande limpidité et d'un naturel qui fait oublier que ce répertoire abonde, au sens propre ce mot, en artifices. J'ai particulièrement apprécié le fait que rien, dans cette réalisation, ne soit jamais univoque et que l'on sente, sous les ondulations de la danse, pointer parfois un rien de mélancolie dans les pièces qui semblent l'exiger. Il me semble donc que ses qualités et son équilibre rendent cette anthologie parfaitement recommandable pour les amateurs de musique italienne de ce Trecento si fourmillant de trouvailles dans toutes les disciplines artistiques.

Anonyme Bruges 1479 Simon de Hesdin dans son cabinetMaître anonyme, Bruges, XVe siècle,
Simon de Hesdin au travail dans son cabinet
, 1479
Enluminure sur parchemin extraite des Facta et Dicta memorabilia de Valère Maxime traduits par Simon de Hesdin et Nicholas de Gonesse, 48 x 34 cm, Ms Royal 18 E III, Londres, British Library

 

Le disque du tout jeune ensemble Qualia, réunissant trois musiciens à l'expertise reconnue dans leur domaine – Anna Danilevskaia à la vièle, Christophe Deslignes à l'organetto et Lambert Colson, qui le dirige, aux flûtes et cornets –, nous entraîne un bon siècle plus tard, dans les dernières années du XVe siècle durant lesquelles nos vieux manuels d'histoire voulaient situer la transition entre Moyen Âge et Renaissance, périodisation largement (et justement) contestée depuis quelques décennies. Ils font partie de ces musiciens qui, fort heureusement pour nous, tentent aujourd'hui de ressusciter une des parties du répertoire médiéval ou primo-renaissant qui a longtemps été regardée avec le plus de circonspection : la musique instrumentale ; leur Mundus et Musica s'inscrit dans une série de réussites signées par La Morra (Von edler Art, I dilettosi fiori), le Leones Ensemble (Josquin, Agricola) et Tasto Solo (Meyster ob allen Meystern) qui toutes ont contribué à remettre en questions quelques certitudes. C'est également ce que fait Qualia en s'emparant du Codex Segovia, un manuscrit réalisé à la toute fin du XVe siècle, très probablement dans l'entourage de la cour d'Espagne, par un copiste parfaitement imprégné de culture flamande, un fait qui constitue une preuve supplémentaire des liens qui unissaient alors ces deux cultures. Que trouve-t-on dans cette précieuse source ? Rien de moins que des œuvres composées par une partie du gratin des compositeurs septentrionaux de l'époque – Obrecht, Agricola, Tinctoris, Compère, Hayne van Ghizeghem, on peut trouver générique moins flatteur – qui, outre des pièces récentes de leur crû, proposent également, selon l'habitude d'un temps où faire ce que nous appellerions aujourd’hui une reprise était à la fois signe d'hommage et acte d'émulation, des élaborations nouvelles de certaines chansons du passé couronnées par le succès (Comme femme desconfortée de Binchois, D'ung aultre amer d'Ockeghem, entre autres). Ces musiques, souvent d'une grande complexité héritée de la manière d'une préciosité chantournée typique de l'Ars subtilior qui fleurissait en France un petit siècle plus tôt, ont longtemps été considérées comme de purs exercices spéculatifs non destinés, donc, à être exécutés.

QualiaQualia apporte à cette hypothèse un cinglant démenti en proposant une lecture d'une vitalité revigorante d'une sélection de pièces tirées du Codex Segovia et d'autres sources proches. Les trois musiciens abordent ces pièces souvent brèves (leur durée moyenne se situe autour de 2 minutes 30) avec une franchise, une finesse de touche, un souci de la couleur et une inventivité qui font plaisir à entendre et montrent qu'il existe une véritable relève en marche dans le domaine de la musique ancienne. Les diminutions les plus périlleuses, les détours mélodiques les plus inattendus sont affrontés avec l'aplomb que permet une excellente connaissance des secrets de ce répertoire assez peu fréquenté et une virtuosité révélatrice d'un travail préparatoire exigeant visant à dépasser la technique pour laisser le champ libre à l'expression et à la liberté. Il ne manque, à mon goût, à cette anthologie superbement maîtrisée qu'un rien de variété supplémentaire pour séduire complètement au delà du public familier de ces musiques que ses propositions ne manqueront pas de passionner durablement. Les premiers pas de Qualia au disque sont néanmoins extrêmement prometteurs et l'on se réjouit de retrouver, dans un avenir que l'on espère pas trop lointain, Lambert Colson et ses amis dans les nouvelles explorations que leur enthousiasme et leur intelligence ne manqueront pas de leur autoriser.

 

Rosa e Orticha Ensemble SyntagmaRosa e Orticha, musique du Trecento

 

Ensemble Syntagma
Alexandre Danilevski, luths & direction

 

1 CD Carpe Diem [durée totale : 60'23"] CD-16287. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

1. Egidius de Francia (XIVe siècle), Donna s'amor, ballata

 

3. Andrea Stefani (fl. c.1400), Con tutta gentilezza, ballata

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Mundus et Musica QualiaMundus et Musica, musique instrumentale en Espagne et en Flandres autour de 1500

 

Qualia
Lambert Colson, flûtes à bec, cornets & direction

 

1 CD Carpe Diem [durée totale : 53'18"] CD-16294. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

2. Magister Gulielmus (Guglielmo Ebreo da Pesaro, c.1420-après 1484), La Spagna/Falla con misuras

 

4. Fray Benito (XVe siècle ?), Gloria

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

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28 mai 2012 1 28 /05 /mai /2012 18:17

 

philipp hieronymus brinckmann chutes rhin schaffhausen

Philipp Hieronymus Brinckmann (Spire, 1709-Mannheim, 1760),
Les Chutes du Rhin à Schaffhausen
, après 1745

Huile sur toile, 58 x 79 cm, Munich, Alte Pinakothek

 

Le premier volet de cette série nous conduisait en Prusse, à la cour de Frédéric II, où nous avions vu Carl Philipp Emanuel Bach commencer à façonner, dans le courant des années 1740, les premiers éléments de ce qui deviendrait, plus de 60 ans plus tard, le romantisme. Mettons aujourd’hui le cap plus au sud pour partir à la découverte de deux figures actives au sein de deux cités dont le rôle a été capital dans l’éclosion de la symphonie « moderne » (pour l’époque, s’entend) et l’émergence d’une nouvelle sensibilité.

 

La première étape sera Vienne où, vers le milieu du siècle, s’élabore un style qui, en s’appuyant sur les techniques héritées du baroque, adopte une palette émotionnelle dans laquelle la rhétorique tend à s’effacer devant une subjectivité de plus en plus marquée. Un des musiciens les plus représentatifs de ceux que la musicologie ont nommé les Préclassiques viennois est, aux côtés de Georg Christoph Wagenseil (1715-1777), dont je reparlerai ultérieurement, Georg Matthias Monn. Peut-être né Johann Georg Mann à Vienne le 9 avril 1717, les éléments de sa biographie sont d’une extrême ténuité. On sait qu’il fut sopraniste à Klosterneuburg entre 1731 et 1732 où il est très probable qu’il reçut l’essentiel de sa formation musicale. Organiste tout d’abord à Melk, il prit, à partir de 1738, cette fonction à la Karlskirche de Vienne, fraîchement construite, et mourut de la tuberculose dans cette ville le 3 octobre 1750. Pédagogue renommé de son vivant, on ne connaît néanmoins aucun de ses élèves de façon certaine mais c’est l’un de ceux qu’on suppose l’avoir été, Georg Albrechtsberger (1736-1809), qui nous livre, en quelques mots rapportés par Joseph Sonnleitner, une des rares descriptions crédibles où l’on devine, au plus, une silhouette : « Il doit avoir été d’une constitution très faible car, bien qu’il ne bût pas de vin – ce qui est fort rare dans un couvent de chanoines – il ne vécut pas jusqu’à un grand âge. Une âme sombre et un travail harassant y ont probablement aussi contribué. Il ne se maria jamais et était toujours de noir vêtu. »

bernardo bellotto vue de la lobkowitzplatzLes symphonies et concertos de Monn sont particulièrement intéressants car y coexistent une empreinte assez nette du style baroque tardif à la Fux et des expérimentations qui autorisent à présumer une probable connaissance des recherches menées par Carl Philipp Emanuel Bach, à moins que les siennes propres soient simultanément allées dans la même direction. Qu’il s’agisse du Concerto pour violoncelle en sol mineur, encore tributaire de la forme à ritournelle chère aux compositeurs italiens comme, entre autres, Vivaldi, ou de la Symphonie en sol majeur de 1749, dont vous sont proposés des extraits, les traits conservateurs sont nettement contrebalancés par la volonté de décrire au plus près les incessants changements d’affect de l’âme humaine propre à l’Empfindsamer Stil (style sensible), qui parvient à s’exprimer malgré le corset encore sensible de l’imposant héritage contrapuntique viennois qui tempère chez Monn le caractère imprévisible et l’imagination débridée que l’on trouve de façon si caractéristique chez le « Bach de Hambourg ». Que le sentiment soit celui d’une tendresse pleine une pudique nostalgie (Allegro liminaire du Concerto pour violoncelle) ou traversée de lueurs plus inquiètes (Andante central de la Symphonie en sol majeur), ou qu’il se pare ailleurs de couleurs plus souriantes, il est en train de gagner lentement le centre du champ expressif où d’autres compositeurs l’installeront complètement ; il convient d’ailleurs de noter que la musique de Monn fut jugée suffisamment intéressante pour que, 50 ans après sa mort, les maisons d’éditions continuent à la proposer, voire la gravent de nouveau.

« Je le considère comme le meilleur compositeur de symphonies qui ait jamais vécu. Splendeur, sonorité pleine, déchaînement et ivresse puissante et bouleversante du flux harmonique, nouveauté dans les idées et les tournures ; son pomposo inimitable, ses andante surprenants, ses menuets et trios envoûtants, et enfin ses prestos envolés et jubilatoires lui ont valu jusqu’à ce jour l’admiration générale. » Ces louanges de Christian Friedrich Daniel Schubart (1739-1791) dans son Ideen zu einer Ästhetik der Tonkunst publié posthumément en 1806, s’adressent à un musicien actif à Mannheim, seconde étape de notre parcours, aussi peu connu aujourd’hui qu’il fut reconnu par ses contemporains : Anton Fils (on trouve également les graphies Filz ou Filtz). Tout comme Monn, les éléments biographiques le concernant sont rares. Baptisé à Eichstätt, en Bavière, le 22 septembre 1733, il est le fils d’un violoncelliste et camérier à la cour du prince-évêque de la ville, dans laquelle il fait ses études jusqu’aux environs de 1753, année où il s’inscrit à l’université d’Ingolstadt en droit et en théologie, matière qu’il abandonnera l’année suivante. Le 15 mai 1754, il est engagé comme violoncelliste au sein de l’orchestre de la Cour de Mannheim, la phalange la plus en vue de l’époque, au sein de laquelle il parfait sans doute les connaissances acquises sous la férule de son père auprès de Jan Stamič (Johann Stamitz, 1717-1757). Il se marie en 1757 et, signe de son succès, devient propriétaire en 1759. Il meurt à Mannheim où il est enterré le 14 mars 1760.

chateau mannheimMort à 27 ans, peut-être d’une indigestion d’araignées qu’il aimait, selon Schubart, croquer toutes crues, Fils a tout de même eu le temps de composer une œuvre conséquente puisqu’on conserve de lui une trentaine de symphonies, des concertos, de la musique de chambre et quelques pièces sacrées. Aucun autographe, ni écrit de sa main n’a été conservé, notre musicien ayant eu tendance, toujours selon Schubart, à se servir « souvent de ses compositions les meilleures comme de torches une fois qu’elles avaient été jouées », mais sa veuve vendit néanmoins l’intégralité de sa production instrumentale restante à Louis-Balthazard de la Chevardière, éditeur parisien, entre autres, de Boccherini, qui en assura la publication entre 1760 et 1765. Si ses œuvres s’écartent généralement fort peu des schémas de l’École de Mannheim, dont elles épousent l’esprit brillant et léger, en usant de grands crescendos pour structurer les morceaux et en favorisant l’émancipation des pupitres des vents, une cependant se distingue clairement du lot, la Symphonie en sol mineur, datant probablement de la fin de sa brève période créatrice. Ses mouvements extrêmes et son Menuet, débordants d’énergie et d’une tension exacerbée avec une science très sûre du drame, ne laissent guère de répit à l’auditeur qu’ils entraînent dans un tourbillon de passions contrastées dans l’emballement desquelles il est permis de voir une des premières étapes déterminantes de ce courant préromantique qui se nommera Sturm und Drang (tempête et élan/passion) d’après le titre d’une pièce du dramaturge Maximilian von Klinger représentée en 1777. Vous retrouverez d’ailleurs, dans l’Allegro assai conclusif de cette Symphonie de Fils, une idée musicale qui sera reprise par Mozart dans sa propre Symphonie en sol mineur (KV 183/173dB) de 1773 et une de ces « fausses conclusions » dont Haydn raffolait, ce qui ne saurait, du moins pour le premier dont on connaît les nombreux contacts avec Mannheim, être un hasard. Ce n’est néanmoins pas dans cette ville, qui connaîtra une lente extinction artistique à partir de la fin des années 1770, que s’écrira l’histoire du préromantisme, mais à Vienne où nos pas nous reconduiront  bientôt.

 

A suivre.

 

Références discographiques :

 

Georg Matthias Monn (1717-1750) :

 

1. Concerto pour violoncelle, cordes et basse continue en sol mineur :
[I] Allegro

 

Jean-Guihen Queyras, violoncelle
Freiburger Barockorchester
Petra Müllejans, premier violon & direction

 

haydn monn cello concertos queyras freiburger barockorchestConcertos pour violoncelle (Haydn, Monn). 1 CD Harmonia Mundi HMC 901816. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

2. Symphonie en sol majeur :
[II] Andante

 

L’Arpa Festante
Michi Gaigg, premier violon & direction

 

georg matthias monn symphonies arpa festante gaiggSymphonies. 1 CD CPO 999273-2. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

3. Anton Fils (1733-1760) : Symphonie en sol mineur :
[I] Allegro
[IV] Allegro assai

 

Concerto Köln

 

mannheim the golden age fils stamitz concerto kolnMannheim, the Golden Age (Cannabich, Carl et Johann Stamitz, Fils, Fränzl). 1 CD Teldec 3984-28366-2. Ce disque peut être acheté, au sein d’un coffret, en suivant ce lien.

 

Illustrations complémentaires :

Bernardo Bellotto (Venise, c.1721-Varsovie, 1780), Vienne, vue de la Lobkowitzplatz, 1759-60. Huile sur toile, 115 x 152 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum

Theodor Gottfried Thum (actif en Allemagne autour de 1750), Vue du château de Mannheim, tirée du Thesaurus Palatinus, 1750. Plume et aquarelle sur papier, 39 x 25 cm, Heidelberg, Bibliothèque de l’université

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8 juillet 2010 4 08 /07 /juillet /2010 19:49

 

gustave moreau cavalier

Gustave MOREAU (Paris, 1826-1898),
Un cavalier
, sans date.
Huile sur toile, 1,45 x 1,45 m, Paris, Musée Gustave Moreau.

 

Salzbourg, 3 août 1779. Wolfgang Amadeus Mozart achève une sérénade destinée à célébrer la fin de l’année universitaire, une Finalmusik comme ce type de partition était alors désigné. On a pu identifier, avec plus ou moins de certitude, six autres œuvres qui furent composées et jouées pour de semblables cérémonies et une note du journal de Nannerl, la sœur de Mozart, nous apprend le déroulement de l’une d’entre elles : « 9 [août 1775] : ce fut la Finalmusik, partie d’ici à 8 heures 30 [du soir] ; au Mirabell [résidence d’été de l’archevêque] elle dura jusqu’à 9 heures 45, de là à l’université où elle dura jusqu’après 11 heures. » Rien ne distingue, a priori, cette sérénade du reste de la production mozartienne dans ce genre durant son temps d’activité à Salzbourg ; comme ses semblables, elle se place sous l’égide de la tonalité éclatante et « facile » de ré majeur, affiche le minimum requis de deux menuets, semble globalement d’humeur détendue et festive. On peut même gager, sans grand risque de se tromper, qu’aujourd’hui comme au jour de sa création, l’auditeur peu attentif aura conservé le sentiment d’une œuvre plutôt ensoleillée. Cependant, pour qui prend le temps de s’arrêter un instant, le caractère foncièrement irrégulier de cette partition passée à la postérité, du fait de la présence d’un cor de postillon dans le second Trio de son dernier Menuet, sous le titre (apocryphe) de Posthorn Serenade, éclate rapidement comme une évidence.

 

jan asselijn cygne menacantCertes, l’élan du premier mouvement, introduction solennelle, fanfares triomphantes, carrure vigoureuse, allure décidée, paraît corroborer l’idée d’une musique uniment soucieuse de briller, impression encore renforcée par l’emploi de ces grands crescendos à la mode de l’École de Mannheim qui projettent encore un peu plus le discours en avant. Mais percevez-vous ces cordes si tendues qu’elles en deviennent étrangement haletantes, cette violence sourde qui demeure en filigrane dans tout l’Allegro con spirito, et explose par deux fois, la première lorsqu’une rageuse modulation mineure vient, comme un éclair sombre, zébrer le discours (à 3’42”), puis lors du retour, au début de la réexposition (à 4’22”), de l’Adagio maestoso introductif, que rien ne laissait prévoir et qui interrompt l’avancée implacable du morceau tout en le projetant vers une conclusion toutes forces déployées, laquelle ne dissipe néanmoins pas complètement l’impression de fuite en avant qui se dégage du mouvement tout entier ?

caspar david friedrich brume dans vallee elbeAutre singularité, après un robuste Menuet dont la solennité se pare d’un sourire agreste dans son Trio en la majeur, Mozart a décidé, en lieu et place du concerto pour violon traditionnellement intercalé dans ce type de sérénade, d’inclure ici une symphonie concertante en sol majeur pour instruments à vents. Il faut sans doute y voir une suite logique à la Symphonie concertante en mi bémol majeur pour hautbois, clarinette, cor et basson (KV 297b/C 14.01/Anh. 9) qu’il composa en 1778, lors de son ultime séjour parisien, laquelle n’est plus aujourd’hui connue que par une copie douteuse du XIXe siècle, ainsi qu’un des avant-courriers d’une autre absolue réussite, la Sérénade en si bémol majeur « Gran partita » datant des années 1781-82 (KV 361/370a). L’andante grazioso et l’allegro ma non troppo qui composent, pour reprendre le terme utilisé par le compositeur, la Concertante de la Sérénade« Posthorn » ont en commun un incroyable raffinement, une élégance et une finesse de touche qui, après l’écriture compacte des mouvements précédents, les font apparaître diaphanes, diaprés de mille couleurs changeantes. Ces deux morceaux pourraient n’être que des intermèdes au charme bucolique convenu ; ils sont emplis, tout au contraire, d’un lyrisme intense, et le Rondeau dont l’écriture d’une si arachnéenne légèreté semble annoncer les scherzos immatériels qu’écrira Mendelssohn cinquante ans plus tard est empreint, en son épisode central (de 2’50” à 3’35”), d’un trouble poignant matérialisé par les interjections successives du hautbois puis de la flûte, qui résonnent comme un appel ou un adieu.

martin von molitor nuages sur vaste paysageMais, alors que le Rondeau vient de s’achever en cavalcadant, voici que surgit l’Andantino, sans doute la pièce la plus complètement décalée dans cette sérénade. Non seulement l’indication de tempo est inhabituelle dans ce contexte comme, d’ailleurs, dans tout l’œuvre de Mozart, mais, de surcroît, ce mouvement est écrit dans la sombre tonalité de ré mineur, ce qui le relie doublement à un autre, plus célèbre, l’Andantino en ut mineur du Concerto pour pianoforte en mi bémol majeur dit « Jeunehomme » (KV 271, 1777). Ça n’a l’air de rien, mais c’est pourtant comme si la fête (n’oublions pas la destination de notre Finalmusik) était subitement interrompue par un irrépressible sanglot. Les tensions accumulées jusqu’ici trouvent, en effet, un lieu pour se donner libre cours, dans une sorte de marche lente entrecoupée, là encore, de sursauts forte qui sont autant de cris sur lesquels se brisent toutes les velléités de consolation apportées par les quelques phrases en mode majeur, tandis que le chant du hautbois se fait plaintes et soupirs. C’est un mouvement d’une tristesse indicible, plein d’un sentiment d’abattement qui, par instants, frôle le pathétique, et dans lequel entre probablement une part de confession intime dont, faute de documents, il nous est impossible de connaître la cause. Faut-il y voir, comme certains commentateurs l’ont pensé, la traduction de la mélancolie qui précède les au revoir, qu’il s’agisse de ceux de la fin de l’année universitaire ou d’autres, plus personnels ? C’est plus que probable, comme nous le verrons avec le mouvement suivant.

moritz von schwind depart de la valléeComme souvent chez Mozart, où l’on assiste fréquemment à de semblables phénomènes de compensation destinés à maintenir le meilleur équilibre possible entre les passions exprimées par la musique (c’est beaucoup moins le cas, par exemple, chez Haydn), la forte densité émotionnelle de l’Andantino est contrebalancée par la vigueur un peu rude du très terrestre Menuet et de ses deux Trios. Le second contient une des clés de l’œuvre toute entière, dont il signe définitivement le caractère particulier par l’emploi d’un cor de postillon soliste, instrument qui n’a pas de place légitime au sein d’un orchestre et dont la présence revêt donc une portée symbolique évidente. Cette voix singulière n’est-elle pas, en effet, celle de Wolfgang lui-même, qui, sa correspondance l’atteste, se sentait, à l’époque de la composition de la Sérénade « Posthorn », de plus en plus étranger à Salzbourg et n’aspirait qu’à en partir pour échapper aux tutelles pesantes de son patron, l’archevêque Colloredo, et de son père ? L’annonce par le cor de postillon du départ des étudiants n’est sans doute, pour le musicien, qu’un exutoire qui lui permet de clamer de façon tonitruante son propre désir de fuite. Dans cette perspective, le Finale de la sérénade, un Presto qui s’ébroue avec vivacité, en dit long sur son impatience et sur les secrets espoirs que lui inspire la délivrance qu’il appelle de ses vœux.

 

Imperceptiblement, le crépuscule envahit les rues de la cité, dépose sur l’horizon un voile tremblé. C’est Salzbourg et c’est l’été, mais les espérances qui, aux heures vagues, poignent un cœur qui se masque sous l’ironie et la légèreté ne connaissent ni de lieu, ni d’année. Dans la brise du soir, entraînant au loin les derniers échos de la sérénade, s’obstine, rauque et solitaire, l’appel d’un cor de postillon.

L’heure du départ a sonné.

Fouette, cocher.

 

Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791), Sérénade en ré majeur « Posthorn », KV 320 :

1. [I] Adagio maestoso – Allegro con spirito

2. [IV] Rondeau : Allegro ma non troppo

3. [V] Andantino

4. [VI] Menuetto – Trio I – Trio II*


The Academy of Ancient Music
* David Blackadder, cor de postillon
Christopher Hogwood, direction


mozart posthorn serenade ballet idomeneo hogwoodSérénade « Posthorn », KV 320. Musique de ballet pour Idomeneo, KV 367. 1 CD L’Oiseau-Lyre/Decca 452 604-2. Indisponible.


Illustrations du billet :

Jan ASSELIJN (Dieppe ?, c.1610-Amsterdam, 1652), Le cygne menaçant, avant 1652. Huile sur toile, 1,44 x 1,71 m, Amsterdam, Rijksmuseum.

Caspar David FRIEDRICH (Greifswald, 1774-Dresde, 1840), Brume dans la vallée de l’Elbe, c.1821. Huile sur toile, 33 x 42,5 cm, Berlin, Château de Charlottenbourg.

Martin von MOLITOR (Vienne, 1759-1812), Impression nuageuse sur un vaste paysage, c.1785. Aquarelle et rehauts de blanc sur papier bleuté, 44,2 x 55,7 cm, Vienne, Albertina Museum.

Moritz von SCHWIND (Vienne, 1804-Niederpöcking, 1871), Départ de la vallée, c.1846. Huile sur toile, 30,3 x 22,8 cm, Munich, Collection Schack.

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25 avril 2010 7 25 /04 /avril /2010 17:27

 

caspar david friedrich la cascade

Caspar David Friedrich (Greifswald, 1774-Dresde, 1840),
La cascade
, c.1830
Crayon et aquarelle, 25 x 34 cm, collection particulière
[cliquez sur l’image pour l’agrandir]

 

À moins de vous intéresser de très près à la musique allemande des premiers temps du romantisme, il y a fort à parier que vous n’aurez jamais entendu parler du compositeur dont je souhaite dessiner aujourd’hui une première esquisse au travers de deux pièces choisies dans son œuvre pour clavier. Né la même année que Robert Schumann et Frédéric Chopin, sa trajectoire fut encore plus précocement interrompue que la leur, d’où la relative minceur d’un legs dont on ne redécouvre pleinement l’étonnante qualité que depuis les années 1980.

 

August Joseph Norbert Burgmüller est né à Düsseldorf le 8 février 1810, dans une famille de musiciens. Son père, prénommé Johann August Friedrich (1766-1824), était chef d’orchestre et fonda en 1818, en collaboration avec Johannes Schornstein, le Festival de musique du Rhin inférieur (Niederrheinisches Musikfeste), sa mère, Therese von Zandt (1771-1858), chanteuse et professeur de piano. C’est donc tout naturellement au sein de sa famille que Norbert, mais aussi son frère aîné Friedrich (1806-1874), qui, installé à Paris à partir de 1834 environ, y fit une brillante carrière de pianiste et de pédagogue, reçut sa première éducation musicale. Lorsque le père mourut en 1824, la famille trouva heureusement un soutien indéfectible en la personne du riche et cultivé comte Franz von Nesselrode-Ehreshoven, qui permit au jeune Norbert d’aller étudier à Kassel auprès du compositeur Louis (Ludwig) Spohr (1784-1859) et du théoricien Moritz Hauptmann (1792-1868). Arrivé dans cette ville en 1826, il y demeura jusqu’en 1830, s’y fiançant avec la cantatrice Sophia Roland, de six ans son aînée, en 1829. L’aimée mettra un terme à cette relation au printemps suivant, avant de mourir quelques semaines plus tard à Aix-la-Chapelle. Le choc provoqua, pour le jeune compositeur, une crise extrêmement rude ; il rompit avec Spohr, perdit son emploi de répétiteur à Kassel, commença à souffrir de crises d’épilepsie et tenta d’oublier son chagrin dans l’alcool.

norbert burgmuller johann baptist sonderlandDe retour à Düsseldorf à l’automne 1830, son comportement « bizarre, ennemi des mondanités, des conventions, de toute contrainte », selon le musicographe François-Joseph Fétis (1784-1871), sa nature réservée et mélancolique, l’empêchèrent d’y obtenir un poste stable. L’arrivée à Düsseldorf, en 1833, en qualité de directeur musical de la ville, de Felix Mendelssohn Bartholdy (1809-1847), fut décisive pour Burgmüller, qui se lia d’amitié avec son prestigieux contemporain envers lequel il reconnut ensuite sa dette, en tant qu’homme et artiste. Mendelssohn, de son côté, n’hésita pas à promouvoir les œuvres de son cadet, dont il donna l’Ouverture en fa mineur (opus 5, c.1825), le Concerto pour piano en fa dièse mineur (opus 1, 1828-29), et, peut-être, la Symphonie n°1 en ut mineur (opus 2, 1833). Fiancé avec Joséphine Collin, gouvernante française de son mécène, en 1835, Burgmüller envisagea à cette époque de gagner Paris pour y rejoindre son frère. Son état de santé demeurant chancelant, il répondit à l’invitation d’un de ses amis et rejoignit Aix-la-Chapelle au printemps de 1836 pour une cure thermale dont on espérait qu’elle le guérirait de son épilepsie. Dans l’après-midi du 7 mai, alors qu’il est aux bains, Norbert Burgmüller se noie, sans que l’on ait pu démêler si sa mort était due à une convulsion épileptique ou à un suicide, rumeur qui courut très tôt. Le 11 mai, une foule nombreuse assista à son enterrement à Düsseldorf, au son de la Marche funèbre en la mineur (opus 103), composée pour la circonstance par Mendelssohn.

 

Ce que l’on conserve de la production de Burgmüller a été composé en une dizaine d’années, du premier de ses quatuors, en ré mineur (opus 4), datant de 1825, à sa Symphonie n°2 en ré majeur (opus 11), commencée en novembre 1834 et laissée inachevée à sa mort. L’intégralité de son œuvre pour piano se résume à quatre pièces d’authenticité certaine, la Sonate en fa mineur (opus 8, 1826), la Valse en mi bémol majeur (sans numéro d’opus, 1827), la Polonaise en fa majeur (opus 16, 1832), et la Rhapsodie en si mineur (opus 13, c.1834), auxquelles il faut ajouter une Mazurka en mi bémol majeur retrouvée en 2004 qui est une version remaniée, on ignore par qui, de la Valse. J’ai volontairement choisi de vous présenter deux pièces qui se situent chacune à une des extrémités de cette courte période créatrice, reliées toutefois par la prédilection du compositeur pour l’usage du mode mineur.

caspar david friedrich la cascade detailŒuvre d’apprentissage, à la structure tripartite toute classique et même un peu vieillotte, la Sonate en fa mineur ne cesse néanmoins jamais d’être traversée par les éclairs de la passion, oscillant sans cesse entre courses haletantes et moments emplis de sérénité, voire de contemplation. On peut la situer, ne serait-ce que par le choix de la tonalité, dans la droite ligne du courant Sturm und Drang (« tempête et oppression »), qui agita les territoires germaniques dès les années 1760 jusqu’en 1785 environ, mais resta présent en filigrane jusqu’au début du XIXe siècle, mais un Sturm und Drang qui aurait rencontré Beethoven et surtout Schubert, sans doute le compositeur de l’univers duquel Burgmüller, en dépit de son admiration pour Mendelssohn, était le plus proche. Il y a quelque chose d’éperdu et de profondément poignant dans la lutte permanente que semblent se livrer courage et résignation dans cette sonate qui ne cesse de déployer une fantastique énergie, presque euphorique dans le brillant dernier mouvement, jusqu’à ce que l’irrépressible élan qui l’emporte vienne se briser sur les dernières mesures, se muant en une sorte de rage muette martelée par les derniers accords. La Rhapsodie en si mineur, étrangement proche de la première des trois Klavierstücke D 946 de Schubert, composées en 1828, mais publiées en 1868 seulement, se meut dans le même univers mental, mais la concision de la forme (la pièce dure à peine cinq minutes) lui confère une force encore supérieure, saluée tant par Schumann que par Brahms, qui découvrit ce morceau en 1854. Burgmüller y utilise, avec une maestria confondante, les possibilités techniques des pianos de son époque pour en faire jaillir, dans les instants d’apaisement, des sonorités impalpables, sans cesse mouvantes, comme ces brumes ou ces nuages dont les peintres du temps, au premier rang desquels Caspar David Friedrich, savaient faire les vecteurs du mystère, et qui, du fait du ralentissement du tempo à la fin de la Rhapsodie, laissent le sentiment d’un rêve qui finit de se dissiper.

Aborder la musique romantique, c’est être nécessairement amené, plus qu’avec celle d’autres périodes, à se poser la question de la part de confession intime mais aussi de pose rhétorique qui y entre. De l’ardeur juvénile menacée par de sombres pressentiments de la Sonate en fa mineur à la contemplation proche de la désagrégation de la Rhapsodie en si mineur, c’est pourtant tout l’itinéraire de Burgmüller qui semble s’y refléter. Qui s’est un jour assis au bord de l’eau, en proie aux sentiments contraires qu’inspirent les passions ou le destin, le cœur et l’âme battant aux tempes, et a laissé ses pensées suivre les flots, tantôt tumultueux, tantôt étales, entendra les histoires que conte cette musique.

 

Norbert Burgmüller (1810-1836),

1. Sonate pour pianoforte en fa mineur, opus 8 : Finale, Allegro molto e con fuoco

2. Rhapsodie pour pianoforte en si mineur, opus 13

 

Tobias Koch, pianoforte Conrad Graf, Vienne, c.1826

 

norbert burgmuller oeuvres pianoforte tobias kochŒuvres complètes pour pianoforte. 1 CD Genuin Musikproduktion GEN 86061. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.


Illustration complémentaire :

Johann Baptist Sonderland (Düsseldorf, 1805-1878), Norbert Burgmüller, c.1832. Craie noire et rehauts de blanc sur papier, Düsseldorf, Stadtmuseum

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4 avril 2010 7 04 /04 /avril /2010 16:31

 

annonce aux bergersAnonyme français, XVIIIe siècle.
L’annonce aux bergers
, c.1740-1750 ?
Pierre noire, sanguine et rehauts de craie blanche
sur papier, 45 x 33,8 cm. Dijon, Musée Magnin.
[cliquez sur l'image pour l'agrandir]
 

 

Qui connaît aujourd’hui le nom de Gottfried Heinrich Stölzel, en dehors des amateurs qui s’intéressent aux contemporains de Johann Sebastian Bach dont la stature, rendue immense par une certaine postérité, les a rejetés dans l’ombre ? Pour se donner une bonne excuse de ne pas s’y intéresser, on les affuble de l’épouvantable étiquette de « petit maître », alors qu’une étude un tant soit peu attentive des témoignages d’époque nous démontrent régulièrement la haute estime dont ils jouissaient, quelquefois supérieure, souvent au moins égale, à celle de ceux que nous considérons aujourd’hui comme des « grands ».

 

annonce aux bergers detailMaître de chapelle de la cour de Gotha de 1719 à sa mort, le 17 novembre 1749, originaire de Grünstädtel, en Saxe, où il était né le 13 janvier 1690, d’un père organiste, Gottfried Heinrich Stölzel fit ses études de théologie et de composition à l’université de Leipzig de 1707 à 1710, avant d’entreprendre un voyage d’apprentissage qui le conduisit à Breslau, Halle, Venise, Rome, Florence, Prague, Bayreuth et Gera, lui gagnant une solide réputation de compositeur au fait des dernières nouveautés musicales, notamment du fait de son séjour en Italie (1713-1715) où il côtoya, entre autres, Vivaldi. Malheureusement, de celui que Lorenz Mizler (1711-1778), fondateur, en 1738, de la Société des sciences musicales, considérait comme l’égal de Bach, une large partie de l’œuvre a été perdue ; de ses quelques 80 Ouvertures, aucune n’a survécu, ses opéras ont tous disparu, et environ un tiers seulement de ses plus de mille cantates sacrées nous est parvenu. C’est à la découverte de l’une d’entre elles que je vous convie aujourd’hui. Composée en 1732 (retenez cette date) sur un texte de Benjamin Schmolck (1672-1737), elle était destinée au dimanche de Quasimodo, le premier après Pâques, qui tient son nom de l’introït « quasi modo geniti infantes » (« comme des enfants nouveaux-nés ») de la messe chantée en ce jour précis.


Coro à 4

Er heisset Friedefürst, auf dass seine Herrschaft gross werde und des Friedens kein Ende.

« On l’appelle Prince de Paix, car son empire grandira et sa paix n’aura pas de fin. »

 

Dès les premières mesures, le compositeur, avec une absolue économie de moyens, réussit à baigner l’auditeur dans une musique proche de l’immobilité, dont se dégage une atmosphère de sérénité à la fois chaude et presque irréelle. Puis, tout à coup, le discours s’anime pour illustrer, avec une jubilation sobre mais tangible, le royaume en perpétuelle expansion, avant de revenir à l’atmosphère pacifiée du début. Honnêtement, connaissez-vous beaucoup de compositeurs capables, à l’époque, de dépeindre en si peu de notes et avec autant de justesse la paix ainsi que le bonheur qu’elle apporte ?

Accompagnato à 4

Die ganze Welt ist voller Krieg und Streiten ; auf allen Seiten sind Feinde, die auf uns bestellt, des Friedens Kleinod uns zu rauben ; wer steht uns bei, wer stärket unsern Glauben ? Wer machet uns von den Verfolgern frei ?

« Le monde entier est plein de guerre et de combats, de tous côtés se trouvent des ennemis dont le but est de nous voler le joyau de la paix. Qui se tient à nos côtés, qui fortifie notre foi ? Qui nous libère de nos persécuteurs ? »

 

Mais voici que fait irruption le fracas de la guerre, dont le bloc des voix et le tranchant de l’orchestre clament l’effroi (notez la mise en valeur de « Feinde », les ennemis) avant que les lignes de chant, cette fois-ci plus ornées et un peu moins agitées, se muent en supplique.

Duetto (Soprano, Alto) & Coro à 4 

[D] Du bist in Jesu lauter Frieden, du bist auch unser Friede-Fürst.  Wir sind nicht mehr von Gott geschieden, indem Du unser Mittler wirst. [C] Lass uns auch deinen Geist nur treiben, dass wir des Friedens Kinder bleiben.

« Tu es la pure paix en Jésus, tu es aussi notre Prince de Paix. Nous ne sommes plus séparés de Dieu, auprès duquel tu es notre médiateur. Que ton esprit fleurisse en nous, pour que nous restions enfants de la Paix. »

 

Les terreurs sont vaincues, et c’est sur un rythme dansant que soprano, voix incarnée, et alto, voix de l’âme, affirment leur confiance envers le médiateur terrestre (le mot « Mittler » est bien mis en valeur, il s’agit probablement d’une double révérence au duc de Gotha, l’employeur de Stölzel, et au pasteur) dans un duo conçu de façon presque opératique, qui fait d’autant plus regretter que toutes les œuvres scéniques de Stölzel aient été perdues. Puis ce sont les quatre voix qui s’unissent dans un chant où se mêlent, dans un élan d’une ferveur presque effervescente, marquée par l’accélération du tempo et le changement de carrure rythmique, l’espérance et la louange, comme en témoignent, entre autres, les figuralismes épanouis sur « treiben » (fleurir).

Choral

Grüsse mich mit deinem Munde, der in deinem Worte spricht, schliess mich aus dem Friedensbunde deiner lieben Jünger nicht. Trag, du reine Taube du, mir des Friedens Ölblatt zu.

« Salue-moi par ta bouche où s’exprime ta Parole, ne m’écarte pas du cercle de paix de tes chers disciples. Apporte-moi, pure colombe, le rameau d’olivier de la Paix. »

 

Un choral à quatre voix et à l’unisson, d’une grande simplicité, très recueilli et lumineux, dans lequel s’exprime, avec une humilité à laquelle s’associe l’orchestre qui se contente de doubler les chanteurs, la foi de toute la communauté des croyants : c’est dans une atmosphère d’une sobriété toute luthérienne qu’après le duetto d’esprit assez italianisant qui précédait s’achève l’œuvre.

 

Pensez-vous toujours que Stölzel mérite l’oubli dans lequel il est encore plongé aujourd’hui ? Laissez-moi vous faire entendre un petit extrait d’une œuvre d’un autre compositeur, un « grand » aux yeux de la postérité. Nous sommes en 1741, neuf ans, donc, après la cantate dont il a été précédemment question :

Vous avez sans doute reconnu le récitatif accompagné Comfort ye, my people (« Consolez mon peuple ») par lequel commence le Messie de Haendel. Si notre époque est suffisamment aveugle pour mépriser certains compositeurs qui n’ont pas eu, pour des raisons qui m’échappent, les honneurs de la postérité, la ressemblance trop frappante pour être une coïncidence, entre ce morceau et le chœur d’introduction de la cantate de Stölzel prouve, comme l’atteste également le fait que certaines des œuvres de ce dernier aient pu être attribuées à Johann Sebastian Bach, que les contemporains avaient, eux, une conscience parfaitement claire de l’étendue du talent du maître de chapelle de la cour de Gotha.

 

 

Gottfried Heinrich Stölzel (1690-1745), Er heisset Friedefürst, cantate pour le dimanche de Quasimodo 1732.

 

Dorothee Mields, soprano. Martin Wölfel, alto. Jan Kobow, ténor. Christian Immler, basse.

Telemannisches Collegium Michaelstein.

Ludger Rémy, direction.

 

gottfried heinrich stolzel pfingstkantaten remyCantates pour la Pentecôte (1737). 1 CD CPO 999 876-2. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Le récitatif accompagné Comfort ye, my people est interprété par le ténor Anthony Rolfe-Johnson et les English Baroque Soloists sous la direction de John Eliot Gardiner.

 

haendel messiah gardinerGeorg Friedrich Haendel, Le Messie, 2 CD Philips 434 297-2. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

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23 janvier 2010 6 23 /01 /janvier /2010 18:39

 


delacroix cavalier arabe traversant gue
Eugène Delacroix (Charenton-Saint-Maurice, 1798-Paris, 1863),
Cavalier arabe traversant un gué, c.1833-1845
Plume, encre brune et lavis brun, 24 x37 cm, Paris, Musée du Louvre.

 

Chopin autrement, ces mots sonneront peut-être présomptueux aux oreilles de certains d’entre vous. S’il était difficilement concevable que Passée des arts demeurât à l’écart des célébrations qui marquent, en 2010, le bicentenaire de la naissance du plus français des compositeurs polonais du XIXe siècle, le site se devait néanmoins de vous proposer d’emprunter des chemins un peu différents de ceux qui vont être battus et rebattus en tous sens tout au long de cette année. Son exil, ses amours tumultueuses, sa position de retrait vis-à-vis des mondanités de son temps, sa vie prématurément brisée par la tuberculose le 17 octobre 1849, place Vendôme numéro 12, deux heures du matin, font de Frédéric Chopin une icône romantique presque idéale. Certains auteurs en ont d’ailleurs profité pour faire de lui un salonnard souffreteux et génial, ce que les témoignages contemporains démentent, puisqu’ils font apparaître un homme plutôt solitaire, dont la vive sensibilité n’empêchait en rien une forte exigence de bienséance, parfois à la limite de la raideur, ainsi qu’un travailleur aussi acharné que perfectionniste. Je renvoie les lecteurs qui désireraient en apprendre plus sur le véritable Chopin aux travaux de Jean-Jacques Eigeldinger (L’univers musical de Chopin, 2000, et Chopin vu par ses élèves, édition révisée, 2006, tous deux chez Fayard) et de Charles Rosen (La génération romantique, Gallimard, 2002).

 

Chasse jalousement gardée des pianistes, il apparaît cependant à quiconque s’y penche un peu attentivement que la musique de Chopin est étroitemement liée aux instruments pour lesquels elle a été pensée, ces pianos à la sonorité douce, intime pourrait-on dire, sortis des ateliers Pleyel, différents des Érard, plus brillants, qui avaient la faveur de Liszt, et à mille lieues de nos pianos de concert modernes, rugissants et athlétiques. Bien entendu, ce que je viens d’écrire ne veut en aucun cas signifier que les approches pianistiques que nous connaissons tous – j’ai moi-même appris mon Chopin avec Arrau ou Rubinstein – ne sont pas admirables, mais simplement qu’il est possible d’aborder à l’univers du compositeur par d’autres voies, malheureusement bien rarement explorées en France, comme le démontrent tant la programmation de la prochaine Folle journée de Nantes que ce qu’il est possible de connaître des nombreuses parutions discographiques présentes et à venir. Ce sont ces autres chemins que je vous propose aujourd'hui d’emprunter le temps d'un court billet.

 

La Ballade en sol mineur opus 23, achevée en 1835, est la première d’un cycle, a priori non conçu comme tel par le compositeur, de quatre pièces écrites dans un intervalle relativement restreint, puisque les autres datent respectivement de 1839 (n°2 en fa majeur, op.38), 1841 (n°3, en la bémol majeur, op.47) et 1842 (n°4 en fa mineur, op.52). Le genre de la ballade, que Chopin semble avoir été le premier à introduire dans le domaine de la musique pour clavier, remonte au Moyen-Âge. Issue de la chanson à danser, elle est devenue, dès la fin du XIIe siècle, uniquement chantée, puis a ensuite perdu progressivement sa musique pour se réduire à son seul poème après la seconde moitié du XIVe siècle, mais surtout au XVe, lorsque poète et compositeur devinrent deux métiers distincts – songez, par exemple, aux ballades de François Villon (1431-après 1463 ?) ou de Christine de Pizan (c.1365-c.1429/30). S’il n’est pas prouvé que cette ascendance médiévale du genre fût connue de Chopin, il est, en revanche, peu probable qu’il n’ait pas lu certaines des Ballades de Goethe (1749-1832), dont la plus célèbre est sans doute Erlkönig (Le roi des aulnes), et, plus encore, celles de son compatriote Adam Mickiewicz (1798-1855), qui publia, en 1822, un recueil fortement teinté d’inspiration populaire intitulé Ballades et romances, considéré comme le manifeste du romantisme polonais (un des poèmes est d’ailleurs intitulé « Romantisme »). On a voulu voir dans ce dernier ouvrage la source d’inspiration des Ballades de Chopin, ce qui n’est attesté par aucun document. Si influence littéraire il y a eu, elle n’est, en tout cas, ni programmatique, ni spécifiquement liée aux œuvres de Mickiewicz, et il me semble plus légitime de parler d’une parenté d’esprit entre la musique et les caractéristiques propres au genre même de la ballade tel qu’il existait au XIXe siècle, mêlant étroitement des éléments lyriques, populaires et légendaires, dans une logique simultanée de décantation et d’élargissement qui en élimine le pittoresque tout en favorisant l’intimité de l’expression. Si dimension épique il y a dans les Ballades de Chopin, c’est d’une épopée toute intérieure dont il s’agit. Ce bref tour d’horizon serait fautif s’il ne mentionnait pas la marque prégnante dubel canto, qui fascinait tant Chopin, et assure à nombre de ses compositions ce caractère cantabile qui contribue grandement à l’émotion qu’elles procurent toujours à l’auditeur d’aujourd’hui.

Vous trouverez tous ces éléments dans la Ballade en sol mineur, si nettement marquée par l’art vocal que, dans un premier temps, les éditeurs furent obligés de préciser qu’elle était « sans paroles ». Les premières mesures peuvent ainsi se lire comme un bref récitatif qui précède l’arrivée de l’aria qui établit la tonalité de sol mineur. Une écoute attentive vous fera également entendre, tout au long de l’œuvre, des rythmes de valse (ceci pour le caractère populaire), tandis que la coda virtuose vous conduira aussi bien du côté des airs de bravoure opératiques que du style brillant de compositeurs dont l’influence sur Chopin fut importante, Johann Nepomuk Hummel (1778-1837) ou John Field (1782-1837), pour n’en citer que deux. Proche, par l’esprit, de la Fantaisie chère aux compositeurs du XVIIIe siècle auxquels il vouait une admiration marquée, la Ballade en sol mineur opère un fascinant mélange entre ancien et nouveau, tout en nous invitant à partager l’émotion des premiers pas de Chopin dans un genre qu’il est en train d’inventer presque sous nos yeux.

 

Frédéric Chopin (1810-1849), Ballade en sol mineur, opus 23.

 

Nelson Goerner, piano Pleyel, 1848.

 

chopin ballades nocturnes goernerBallades, 3 Nocturnes. 1 CD Narodowy Instytut Fryderryka Chopina NIFCCD 003. Ce disque peut-être acheté en suivant ce lien.

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17 janvier 2010 7 17 /01 /janvier /2010 15:23


zoffany reverend burroughes son fils ellis
Johannes Josephus Zauffaly, dit John ZOFFANY
(Frankfurt am Main, 1733-Strand-on-the-Green, 1810),
Le révérend Randall Burroughes et son fils Ellis, 1769.
Huile sur toile, Paris, Musée du Louvre.
[cliquez sur l’image pour l’agrandir]

 

2010 devrait être riche de commémorations musicales. En France, ainsi que je l’écrivais dans un récent billet, c’est Chopin qui va monopoliser le champ de la mémoire officielle, ne laissant sans doute à Robert Schumann (1810-1856) et Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736), pourtant aussi célèbres que lui, que des accessits. Est-il vraiment utile, une fois ceci posé, de préciser que tous les autres compositeurs malheureusement concernés, cette année, par un anniversaire de naissance ou de mort passeront plus ou moins complètement à la trappe ? Fidèle à sa ligne directrice, Passée des arts se devait de vous proposer quelques rendez-vous avec ces « oubliés de 2010 » ; voici le premier.

 

wilhelm friedemann bachÉvoquer Wilhelm Friedemann Bach, c’est se trouver confronté à un immense sentiment de gâchis. L’homme, en effet, avait tout pour réussir une brillante carrière. Né à Weimar le 22 novembre 1710, il est le fils aîné et aimé de l’immense Johann Sebastian Bach (1685-1750), qui parlera toujours de lui comme de son préféré. Si « Friede » fait précocement preuve d’indéniables dispositions pour la musique, son père, qui n’a pas eu la possibilité de faire de longues études, tient à ce que sa progéniture ne soit pas privée de cette opportunité : en 1729, Wilhelm Friedemann entre à l’université de Leipzig pour faire son droit ; il y étudiera également les mathématiques et la philosophie. Son éducation musicale, elle, se déroule naturellement au sein du cercle familial. Le Klavierbüchlein für Wilhelm Friedemann Bach, anthologie de 63 pièces pour clavier constituée par Johann Sebastian à partir de 1720 et qui sera alimentée jusque vers 1725-26, témoigne du soin apporté à cet apprentissage ainsi que des progrès rapides de l’élève, que son père envoie en outre, entre juillet 1726 et avril 1727, se perfectionner dans la technique du violon auprès de Johann Gottlieb Graun (1702/03-1771), élève de Pisendel et de Tartini. C’est donc un musicien accompli qui brigue, en 1731, le poste d’organiste d’Halberstadt, qu’il n’obtient pas, bien que les autorités reconnaissent la supériorité de son talent, puis accompagne son père à Dresde, véritable capitale musicale européenne à cette époque. Deux ans plus tard, le poste de la Sophienkirche de la ville étant devenu vacant, Wilhelm Friedemann fait acte de candidature ; il est choisi, après audition, à l’unanimité et prend ses fonctions le 1er août 1733.

bellotto zwinger dresdeServir à Dresde aurait pu se révéler un fabuleux tremplin pour un jeune compositeur de presque 23 ans, mais l’impression qui se dégage des treize années que va y passer Wilhelm Friedemann est celle d’un rendez-vous manqué. Les exigences de sa tâche se résument à accompagner les offices du dimanche après-midi et du lundi matin, ce qui lui permet sans doute de développer encore plus une virtuosité à l’orgue qui sera rapidement légendaire et lui octroie du temps pour composer. Mais s’il a sans nul doute côtoyé les musiciens éminents qui constituaient, à l’époque, l’orchestre de la Florence de l’Elbe (Quantz, Pisendel, Weiss, Zelenka, entre autres), il est cependant resté extérieur à la grande affaire dont la cité sera, sous l’impulsion de Johann Adolf Hasse (1699-1783), enragée jusqu’aux débuts de la guerre de Sept-Ans (1756) : l’opéra italien. Signe indubitable de cette marginalité, l’importante production de Wilhelm Friedemann durant son séjour à Dresde se cantonne à la musique instrumentale. Quelques rares symphonies, dont se dégage l’impressionnante Sinfonia en ré mineur (Falck 45, abrégé Fk., du nom du musicologue auteur, en 1913, d’une monographie et d’un catalogue de l’œuvre de l’aîné des fils Bach), de la musique de chambre, mais surtout de nombreuses pièces pour ou avec clavier : des concertos (comme le remarquable et hélas inachevé Concerto en mi bémol majeur, Fk.42, dont le premier mouvement – le seul entièrement composé – finit par créer une sensation de malaise tant il semble boucler sans fin sur lui-même), des sonates, et, parmi celles-ci sa première (et une des rares) publiée, en ré majeur (Fk.3, 1745), qui ne rencontre, du fait de ses exigences techniques, que très peu d’écho auprès du public, alors que, dans le même temps, triomphent les sonates dites « Prussiennes » et « Wurtembergeoises », éditées respectivement en 1742/43 et 1744, de son cadet Carl Philipp Emanuel (1714-1788), pourtant très ambitieuses elles aussi. Cet échec pesa-t-il dans la décision de Wilhelm Friedemann de quitter Dresde, où il semblait acquis qu’il n’avait pas sa place ? Peut-être. Le 16 avril 1746, il présente sa démission qu’il a pris le temps de mûrir, puisque cette date correspond également à sa nomination en qualité de directeur de la musique et d’organiste de la Marienkirche (aujourd’hui Marktkirche) de Halle.

johann david schleuen marktkirche marienkirche halleCe nouveau poste semble plus prometteur que le précédent : un salaire quasi doublé, l’obligation, outre d’accompagner les offices à l’orgue, de fournir des œuvres pour les trois églises de la ville. Mais Halle n’offre pas à la musique des conditions matérielles aussi brillantes que Dresde, ni même que Leipzig, loin de là. Le goût musical y est plutôt conservateur, chanteurs et instrumentistes (seulement 9 permanents en 1746) sont répartis entre les différentes églises, dans lesquelles on ne donne de cantates qu’un dimanche sur trois, sans qu’elles soient nécessairement de la plume du directeur de la musique lorsqu’elles prennent place lors des offices dominicaux ordinaires. Wilhelm Friedemann n’aura donc jamais l’occasion de composer de cycles de cantates comme l’a fait son père et sa production de musique sacrée, qui occupera largement ses années à Halle, demeurera modeste : une trentaine d’œuvres, dont une vingtaine de cantates et deux messes.
Si, durant les premières années, tout semble bien se passer, dès 1750, la situation se dégrade : le 28 juillet, Johann Sebastian Bach meurt et Wilhelm Friedemann, non sans avoir eu soin de se faire remplacer à son poste, se rend immédiatement à Leipzig pour régler la succession. Il ne sera de retour à Halle que le 30 décembre, encourant un blâme de la part des autorités de la ville, qui lui en avaient déjà infligé un en août. L’année suivante voit le mariage, le 25 février, de l’aîné des fils Bach avec Dorothea Elisabeth Georgi (1725-1791), fille de bourgeois aisés, dont il aura trois enfants, deux garçons morts en bas-âge et une fille, Friederike Sophie (1757-1797). Cet épisode heureux ne semble néanmoins avoir été qu’une embellie de courte durée, puisque dès la fin de 1753, Wilhelm Friedemann postule, sans succès, pour un poste d’organiste à Zittau, indice on ne peut plus clair d’un malaise. Le déclenchement de la guerre de Sept-Ans en 1756 gèle pour un temps toute possibilité d’amélioration de la situation du musicien, qui va, en outre, souffrir des restrictions financières imposées par le conflit et voir ses relations avec les autorités de Halle continuer à se dégrader. On le soumet à l’impôt de guerre dont il avait demandé à être exempté, on lui refuse, au motif de sa « conduite inconvenante », toute augmentation de salaire. Comble de malchance, il gâche, par ses atermoiements, une superbe opportunité qui lui est offerte en 1762, celle de succéder à Christoph Graupner (1683-1760) en qualité de maître de chapelle à Darmstadt. Le 12 mai 1764, il démissionne de ses fonctions, dans un contexte qui laisse transparaître, chez les deux parties, de l’exaspération. Il va néanmoins demeurer à Halle jusqu’en 1770, vivant grâce à l’héritage de sa femme et à quelques leçons, tout en tentant, sans succès, de trouver un emploi stable et de publier son Concerto pour clavier en mi mineur (Fk.43, dédicace de 1767), une œuvre dont la recherche de simplicité, qui n’empêche en rien une belle expressivité, semble conçue pour faire pièce aux accusations de bizarrerie et de difficulté d’exécution qui ont été auparavant reprochées à ses partitions, et regarde objectivement vers le style classique :

Au plus tard à l’automne 1770, Wilhelm Friedemann quitte Halle pour s’installer Brunswick. Dès 1771, il postule successivement pour deux postes d’organiste, l’un à Wolfenbüttel en avril, l’autre à Brunswick en mai, avec une audition en juin, où, une fois encore, son talent d’improvisateur s’impose. Mais le sort continue à lui être contraire et il n’obtient aucun des deux emplois. Sa situation financière continue être précaire, mais il subsiste en revendant, petit-à-petit, les manuscrits des œuvres de son père. Une nouvelle fois, il fait ses bagages.

johann georg rosenberg neuer markt marienkircheC’est dans la capitale prussienne, Berlin, que l’on retrouve sa trace en avril 1774. Il y donne une série de concerts à l’orgue qui lui valent de connaître un réel succès et de gagner la faveur de la sœur de Frédéric II, la princesse Anna Amalia de Prusse (1723-1787), musicienne et grande amatrice des Bach, père et fils (Carl Philipp Emanuel lui dédiera plusieurs recueils de sonates). La chance lui sourirait-elle enfin ? Il profite, en tout cas, de cette nouvelle éclaircie pour rassembler et réviser ses douze Polonaises (Fk.12), écrites en deux temps : la série complète existait en manuscrit dès 1771, mais six pièces, dédiées au comte Orlov, directeur de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, ont dû être composées entre environ 1766 et 1770. Presque à elles seules, elles préserveront de l’oubli le nom de Wilhelm Friedemann ; elles seront éditées dès 1819 et se révéleront en parfait accord avec la sensibilité romantique qu’elles préfigurent souvent, comme le prouve la sixième, en mi bémol mineur :

Les Polonaises comptent sans doute parmi les compositions les plus intimes de l’aîné des fils Bach, oscillant entre une mélancolie quelquefois âpre (y compris dans celles écrites en mode majeur) et quelques rares trouées plus lumineuses ; il n’est d’ailleurs pas exclu que Chopin s’en soit nourri.

Les deux derniers concerts d’orgue de Wilhelm Friedemann à Berlin sont documentés les 10 octobre et 3 décembre 1776, avec, semble-t-il, moins de succès. Le compositeur travaille dès 1777, à un recueil de Huit fugues pour clavier (Fk.31) conçu pour Anna Amalia, qui le protège toujours ; l’unique exemplaire imprimé conservé lui sera dédié le 24 février 1778. L’année suivante, le compositeur échoue à obtenir le poste devenu vacant de la Marienkirche de Berlin, et tombe en disgrâce auprès de la princesse de Prusse, après avoir tenté de discréditer Johann Philipp Kirnberger (1721-1783), qui lui enseigne la théorie musicale et la composition. S’il est établi qu’il eut pour élève, après cette date, Sarah Itzig (1761-1854), grand-tante de Felix Mendelssohn, et qu’il continua à composer (la Sonate en sol majeur, Fk.7, avec le tragique Lamento en mi mineur qui constitue son deuxième mouvement, est une œuvre tardive), ce dernier coup du sort, dont il semble avoir été en grande partie l’artisan, le relègue définitivement hors de la vie sociale de la cité. L’aîné des fils Bach « ne se montre pour ainsi dire plus jamais en public et semble oublié de presque tous » lit-on en juillet 1783 dans le Musikalischer Almanach de Leipzig (cité dans Marc Vignal, Les fils Bach, Paris, Fayard, 1997, pp. 308-309). C’est donc obscur et dans la misère que Wilhelm Friedemann Bach meurt à Berlin, le 1er juillet 1784.

 

zoffany reverend burroughes son fils ellis1S’il est un homme intensément représentatif de la fracture entre deux esthétiques, c’est bien Wilhelm Friedemann Bach. Ses racines appartiennent profondément, par son éducation comme par son milieu, au monde baroque, mais son regard et ce que l’on peut percevoir de sa sensibilité se portent déjà au-delà. Nombre d’éléments de ce nouvel univers sont déjà en germe dans son œuvre, et il ne lui a sans doute manqué que la discipline de vie – notons, à ce propos, les problèmes insolubles que pose l’établissement d’une chronologie de ses compositions puisqu’il n’a jamais dressé de catalogue et a montré peu d’égards pour ses propres manuscrits – et l’envie de réussir de son frère, Carl Philipp Emanuel, pour en explorer tous les chemins. Bach père a sans doute trop dit à son aîné qu’il était un musicien exceptionnel, il l’a sans doute, comme on dirait de nos jours, trop jalousement couvé, et, ce faisant, fragilisé en lui faisant nourrir un sentiment de supériorité parfaitement incompatible avec le statut de domestique encore attaché, à l’époque, au métier de musicien, mais aussi en l’empêchant d’acquérir une véritable autonomie. Ceci pourrait largement expliquer, outre, comme on l’a vu, des contextes systématiquement peu favorables qu’il s’est révélé impuissant à changer, son incapacité à conserver un poste stable (on retrouve le même schéma chez Mozart) et la constance avec laquelle il s’est marginalisé. La comparaison avec la carrière et l’œuvre de Carl Philipp Emanuel, le fils cadet contraint d’imposer une voix que le rang de la naissance menaçait d’étouffer, ou de Johann Christian (1735-1782), qui n’a connu qu’un Cantor vieillissant et a largement été éduqué musicalement par Carl Philipp Emanuel, sont éloquentes. Ce sont sans doute les deux fils qui, en faisant valoir leur propre style, « sensible » chez l’un, « galant » chez l’autre, se sont le plus radicalement écartés de la voie du père, avec le succès que l’on sait.

zoffany reverend burroughes son fils ellis2Pourtant, chez Wilhelm Friedemann, tous les éléments de la réussite sont là. Maîtrise absolue des techniques d’écriture, inventivité réelle, capacité à composer dans des styles très divers, du plus léger au plus sérieux, toutes ces qualités s’imposent à l’écoute de ses œuvres pour clavier seul – sans doute la part la plus personnelle de sa production, celle où il expérimente et se dévoile le plus –, comme de ses concertos ou des quelques cantates qui ont été portées au disque. Certes, la grande ombre du père plane toujours plus ou moins, particulièrement dans le domaine de la musique sacrée, sur ses compositions, mais elles contiennent toujours des échappées qui les rapprochent de l’Empfindsamer Stil (« style sensible ») dont Carl Philipp Emanuel sera sinon l’inventeur, du moins le champion, colorant, par leurs ruptures subites, leurs suspensions imprévisibles, leurs chromatismes douloureux, maintes pages d’indéniables élans préromantiques. Sans son besoin viscéral de recueillir l’assentiment du Cantor (notons, pour l’anecdote, que Wilhelm Friedemann ne se mariera qu’un an après la mort de ce dernier), l’aîné des fils Bach aurait sans doute été mieux à même de faire valoir son originalité foncière en l’intégrant, à l’instar de son cadet, dans un véritable projet esthétique. Reste l’image d’un compositeur que ses tentatives de synthèse entre « ancien » et « nouveau » langage musical rendent passionnant et son parcours personnel chaotique terriblement attachant, et dont bien des œuvres, notamment sacrées, attendent toujours leur résurrection.

 

Discographie sélective

Fantaisies, Sonates, Fugues, Polonaises.

Maude Gratton, clavecin d’après Christian Zell, Hambourg, 1728, et clavicorde d’après un modèle allemand.

maude gratton wilhelm friedemann bach1 CD Mirare MIR 088. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :
1.
Sonate pour clavecin en ré majeur, Fk.3 : 1er mouvement, Un poco allegro.
7.
Sonate pour clavecin en sol majeur, Fk.7 : 2e mouvement, Lamento.

 

Concertos pour flûte traversière en ré majeur, pour clavier en mi mineur et mi bémol majeur. Sinfonia en ré mineur.

Karl Kaiser, flûte traversière, Michael Behringer, pianoforte et clavecin, Robert Hill, clavecin.
Freiburger Barockorchester.
Gottfried von der Goltz, violon & direction.

freiburger barockorchester wilhelm friedemann bach1 CD Carus 83.304. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :
2.
Sinfonia en ré mineur, Fk.65 : 2e mouvement, Allegro e forte (Fuga).
5.
Concerto pour clavier, cordes et basse continue en mi mineur, Fk.43 : 3e mouvement, Allegro assai. (Michael Behringer, pianoforte Keith Hill, d’après Cristofori).

 

Concertos pour clavecin en fa majeur, mi bémol majeur, la mineur. Symphonie en fa majeur.

Guy Penson, clavecin.
Il Fondamento.
Paul Dombrecht, direction.

penson dombrecht wilhelm friedemann bach1 CD Ricercar 206312. Indisponible.

 

Extrait proposé :
3.
Concerto pour clavecin, cordes et basse continue en mi bémol majeur, Fk.42 : 1er mouvement, Moderato.

 

Cantates. Volume 1 : Lasset uns ablegen die Werken der Finsternis (« Déposons les œuvres des ténèbres », Fk.80), Es ist eine Stimme eines Predigers (« C’est la voix d’un prédicateur », Fk.89). Volume 2 : Dies ist der Tag (« C’est le jour où la souffrance de Jésus », Fk.85), Erzittert und fallet (« Tremblez et tombez », Fk.83).

Barbara Schlick, soprano. Claudia Schubert, alto. Wilfried Jochens, ténor. Stephan Schreckenberger, basse.
Rheinische Kantorei. Das kleine Konzert.
Hermann Max, direction.

hermann max cantates 1 wilhelm friedemann bach1 CD Capriccio 10425 (volume 1). Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
hermann max cantates 2 wilhelm friedemann bach1 CD Capriccio 10426 (volume 2). Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extrait proposé :
4.
Cantate pour la fête de Saint Jean-Baptiste, pour quatre solistes, chœur, deux trompettes, timbales, deux hautbois, cordes et basse continue, Es ist eine Stimme eines Predigers, Fk.89 : Chœur « Es ist eine Stimme eines Predigers »

 

Douze polonaises, Sonate en ré majeur (Fk.3), Fantaisie en la mineur (Fk.23).

Robert Hill, pianoforte d’après Cristofori, c.1720.

robert hill polonaises wilhelm friedemann bach1 CD Naxos 8.557966. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extrait proposé :
6.
Polonaise n°6 en mi bémol mineur, Fk.12.

 

Illustrations complémentaires :

Friedrich ? WEITSCH (attribution incertaine), Wilhelm Friedemann Bach, c.1760. Huile sur toile, Halle, Händel-Haus.

Bernardo BELLOTTO (Venise, 1720-Varsovie, 1780), Les fossés du Zwinger à Dresde (détail), 1749-1753. Huile sur toile, Dresde, Gemäldegalerie alte Meister.

Johann David SCHLEUEN (actif entre 1740 et 1774), Halle, la Marktkirche – Marienkirche. Gravure sur cuivre pour l’ouvrage de Johann Christoph von Dreyhaupt (1699-1768), Beschreibung des Saalkreises, 1749.

Johann Georg ROSENBERG (Berlin, 1739-1808), Vue du Marché neuf et de la Marienkirche, 1785. Eau-forte, Berlin, Staatliche Museen.

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15 octobre 2009 4 15 /10 /octobre /2009 19:24

 


Caspar David FRIEDRICH (Greifswald, 1774-Dresde, 1840),
L’été, 3e feuille de la série Les âges de la vie, 1826.
Crayon sur papier, Hambourg, Kunsthalle.
[cliquez sur l’image sur l’agrandir]

 

O, del mio dolce ardor bramato oggeto !
L’aure che tu respiri alfin respiro.
Ovunque il guardo io giro
le tue vaghe sembianze
amore in me dipinge,
il mio pensier si finge
le più liete speranze,
e nel desio che così m’empie il petto,
cerco te, chiamo te, spero e sospiro !

 

Troisième des opéras dits « réformés » nés de la collaboration entre le compositeur Christoph Willibald Gluck (1714-1787) et le librettiste Ranieri de’ Calzabigi (1714-1795), Paride ed Elena (Pâris et Hélène) a été créé au Burgtheater de Vienne le 3 novembre 1770. Ce billet n’est pas le lieu pour analyser en détail les principes et les conséquences des bouleversements provoqués par les deux compères dans le monde alors très codifié et passablement vieillissant de l’opera seria, sujet sur lequel je m’autorise à revenir un jour prochain, mais de grappiller un des fruits savoureux qu’ils ont permis. Pour nous contenter du minimum nécessaire, disons simplement que cette nouvelle façon d’envisager l’art lyrique vise à rééquilibrer les forces en présence par la remise en cause de la suprématie accordée aux chanteurs et le poids accru conféré au chœur et à l’orchestre. L’idéal qui sera poursuivi par Gluck à partir d’Orfeo ed Euridice (1762) jusqu’à la fin de sa carrière est celui de l’amplification, grâce à une plus grande cohérence entre texte et musique ainsi qu’à la « simplification » et à la concentration du discours musical, de l’impact dramatique des situations mises en scène.

 

Les cinq actes de Paride ed Elena ne laissent cependant à l’action qu’une part extrêmement réduite, le seul véritable sujet de cet opéra se limitant aux hésitations d’Hélène à céder à la flamme de Pâris. D’ailleurs écoutez ce dernier dans l’air, à l’origine écrit pour le castrat Giuseppe Millico, « O, del mio dolce ardor bramato oggeto ! » qui ouvre le premier acte. Rien de bien original à première vue, me direz-vous, dans cette aria da capo qui s’en tient à la forme traditionnelle A-B-A (deux parties plus ou moins identiques entourant une partie centrale contrastante) sur un texte d’une simplicité que d’aucuns jugeront sans doute d’une affligeante banalité :

« Oh, objet désiré de ma douce flamme !
Je respire enfin l’air que tu respires.
Où que je tourne mon regard,
ce sont tes traits charmants
que l’amour peint en moi,
et mes pensées forment
les plus belles espérances.
Dans le désir qui emplit mon cœur,
je te cherche, je t’appelle, j’espère et soupire ! »

Des lieux communs, je vous l’accorde, que l’on retrouve dans nombre d’opéras depuis que le genre existe. Ce qui est moins convenu, en revanche, c’est la musique dont Gluck va les parer. De quoi parle-t-on ici ? D’attente et de désir. Il faut donc que les notes rendent compte avec le plus de justesse possible de tout ce qui peut agiter l’âme quand ces passions s’en emparent. Les cordes vont donc se faire pressantes, presque haletantes, leur ostinato, qui donne son avancée à cet air, ne se transformant en tenues que pour mettre en valeur certains mots comme « alfin » (enfin) « spero » (j’espère) ou la phrase « e nel desio che così m’empie il petto » (dans le désir qui emplit mon cœur). Cependant, ici, rien n’est univoque, car l’aria débute et finit en fa mineur, ce qui lui donne un caractère ombreux, voilé d’inquiétude, tandis qu’un hautbois soliste fait écho à certaines parties du texte avec la voix à la fois plaintive et sensuelle qui lui est propre. L’amour, s’il promet « les plus belles espérances », comme le souligne le mélisme particulièrement lumineux sur les mots « le più liete », est aussi tissé d’incertitudes, de trouble, de mélancolie, suggérés tant par le mode mineur que par l’instrument obligé. C’est à la fois du dehors et du dedans que le compositeur nous propose de sentir le désir qui envahit Pâris ; sa musique, plus encore que ses doutes et ses espoirs, nous fait sentir physiquement jusqu’aux irrégularités de son pouls.

 

Gluck, fidèle aux principes qui guident sa réforme, parvient, en combinant des moyens finalement très simples, à apporter une véritable épaisseur psychologique à un personnage et à une situation qui pourraient, sans ce secours, ne demeurer que de pure convention. Il s’éloigne ainsi un peu plus, tout en en conservant certaines tournures, de l’esprit baroque et s’approche, sans doute sans en être clairement conscient, d’un ailleurs que l’on appellera romantisme.

 

Christoph Willibald GLUCK (1714-1787), « O, del mio dolce ardor bramato oggeto ! », aria tirée de Paride ed Elena, dramma per musica en cinq actes.

 

Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano.
The English Concert.
Paul Goodwin, hautbois.
Trevor Pinnock, clavecin & direction.

 

Opera arias (Gluck, Mozart, Haydn). 1 CD Archiv Produktion 449 206-2

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27 septembre 2009 7 27 /09 /septembre /2009 15:22

« Un musicien ne peut émouvoir les autres que s’il est lui-même ému : il est indispensable qu’il éprouve tous les états d’âme qu’il veut susciter chez les auditeurs. »

Carl Philipp Emanuel Bach, Versuch über die wahre Art das Clavier zu spielen (Essai sur la manière véritable de jouer des instruments à clavier), 1753.


Joseph WRIGHT of DERBY (Derby, 1734-1797),
L’alchimiste, 1771.
Huile sur toile, Derby, Museum and Art Gallery.

 

Le baroque musical est à bout de souffle. Il a vu disparaître petit à petit toutes les figures tutélaires qui ont assuré ses plus belles heures. 1741, Vivaldi meurt dans le dénuement à Vienne. Neuf ans après, Bach père rejoint son Dieu, puis, encore neuf ans plus tard, la grande faucheuse règle son compte à ce vieux solitaire de Haendel. Telemann, enfin, tire sa révérence en 1767 après avoir enterré tout ce beau monde. Une ère s’achève, indubitablement. Cependant, en y regardant d’un peu plus près, une métamorphose aussi radicale que riche de promesses est déjà en train de s’opérer dans les années qui se situent autour de la mort de Vivaldi et, sous les ors marcescents du baroque, un monde nouveau commence à se frayer son chemin.

 

En 1741, Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788, portrait gravé ci-contre), fils de son illustre père, est au service de Frédéric II à Berlin. Même s’il est clair que le Cantor nourrira toujours une préférence pour l’aîné de ses rejetons, le talentueux mais incertain Wilhelm Friedemann (1710-1784), il va cependant sans dire que l’éducation de Carl Philipp Emanuel a été soignée et lui a conféré toutes les bases nécessaires pour devenir un musicien émérite. Dès ses toutes premières œuvres, comme le Concerto en la mineur pour clavier, écrit en 1733 alors qu’il se trouvait encore au foyer paternel, puis remanié en 1744, dont le dernier mouvement vous est proposé en tête de billet, il est évident que si l’héritage des compositeurs baroques, qu’il s’agisse d’Antonio Vivaldi (1678-1741) pour les ritournelles ou de Johann Sebastian Bach (1685-1750) pour l’architecture, a été parfaitement assimilé, la manière de souligner les contrastes et de tendre le tissu musical en le parsemant d’accidents assez imprévisibles regarde déjà au-delà des conventions de l’époque. Faut-il y voir la réaction d’un cadet contraint de sortir des sentiers battus pour faire entendre sa voix ? Ce n’est pas à exclure, mais Carl Philipp Emanuel sera bien plus que ceci : il va tout simplement changer la face de la musique de son temps, ce que reconnaîtront contemporains et postérité au moins jusqu’à Mendelssohn (1809-1847).

 

Si la musique pour clavier, concertante ou soliste, a toujours été le terrain de recherche comme d’expression favori de CPE Bach, il va étendre ses expérimentations à sa musique symphonique qui va progressivement, elle aussi, se distinguer du tout-venant. Mais écoutez plutôt :

Œuvre de transition qui ne renie pas complètement les habitudes de symétrie et de continuité émotionnelle du baroque tardif, le premier mouvement de cette Symphonie en sol majeur de 1741, même si son style reste assez proche de celui des frères Graun, contient cependant nombre d’indices qui révèlent qu’un nouveau langage est en train de s’élaborer. Il suffit, pour s’en persuader, de prêter attention à la façon dont les mélodies commencent à se faire bousculer, de façon encore modérée ici, par des aspérités rythmiques inattendues et un éclairage sans cesse changeant. Quinze années d’études et de pratique après, le fruit est mûr :

Tout ce que l’on pouvait percevoir en filigrane dans les deux œuvres précédentes explose dans l’Allegro assai liminaire de cette Symphonie en mi mineur datable d’environ 1756, que, si l’on en croit le globe-trotter européen et mélomane Charles Burney (1726-1814), le très italianisé Hasse, pourtant plus ou moins complètement étranger à ce style ébouriffé, admirait au plus haut point. On voit ici l’affirmation d’une esthétique basée sur une intense trépidation rythmique ainsi que sur la fragmentation du discours musical, notamment au travers de l’utilisation consommée des silences et des ruptures dynamiques. Ces éléments agissent comme un facteur de relance permanente, amplifié par l’alternance incessante de moments de tension et de détente, sans toutefois nuire à la cohérence de l’ensemble, l’impression chaotique qui pourrait résulter de l’utilisation de brefs motifs musicaux semblant vagabonder à leur guise (un procédé dont Haydn, entre autres, se souviendra) étant toujours sous-tendue par une pensée qui sait parfaitement où elle conduit l’auditeur. Cette manière confère aux mouvements rapides une progression implacable assortie de foucades imprévues, voire véhémentes, qui tentent de traduire au mieux les fluctuations d’une âme agitée par le flux et le reflux des passions. Les mouvements lents sont eux aussi gagnés par cette variation extrêmement rapide des climats affectifs qui se manifeste, là encore, par l’irruption subite des silences et l’exacerbation des contrastes. Ils y gagnent une profondeur inédite qui ouvre largement sur l’expression, alors encore peu habituelle, d’une sensibilité empreinte d’une forte subjectivité, ainsi qu’on peut l’entendre, par exemple, dans l’extrait suivant :

Voici un parfait spécimen de cet Empfindsamer Stil (« style sensible ») qui est, si l’on peut dire, la marque de fabrique de CPE Bach et dont l’influence se fera encore sentir bien au-delà du XVIIIe siècle ; on peut, en effet, le considérer comme un des ferments essentiels du Romantisme à venir. Le caractère chantant (on est proche ici de l’univers de l’aria d’opéra), rêveur, à la fois sentimental et extrêmement intériorisé jusqu’à presque induire un sentiment d’étouffement, renforcé ici par l’emploi des sourdines aux cordes, du Largo mesto (« Largo triste ») du Concerto pour clavier en la majeur de 1753 est typique de cette nouvelle manière d’appréhender et de transcrire les émotions.

 

En plein milieu de ce siècle autoproclamé des Lumières qui s’efforcera de rationnaliser voire de domestiquer les instincts, la musique de CPE Bach s’affirme, consciemment ou non, comme un démenti cinglant au courant de pensée dominant. Une révolution artistique qui ne dit pas encore son nom et s’exprimera sous différentes formes plus ou moins exaspérées est d’ores et déjà en marche.

 

À suivre.

 

Œuvres présentées dans ce billet :

 

Carl Philipp Emanuel BACH (1714-1788) :

NB : H. indique le numéro du catalogue des œuvres de CPE Bach établi par Eugene Helm (1989). L’ancienne numérotation d’Alfred Wotquenne (Wq., 1905) figure entre parenthèses.

 

1. Concerto en la mineur pour clavier, cordes et basse continue, H.403 (Wq.1) :
3e mouvement : Allegro assai


2. Symphonie en sol majeur pour cordes et basse continue, H.648 (Wq.173) :
1er mouvement : Allegro assai


3. Symphonie en mi mineur pour deux cors, deux flûtes, deux hautbois, cordes et basse continue, H.653 (Wq.178) :
1er mouvement : Allegro assai

 

4. Concerto en la majeur pour clavier, cordes et basse continue, H.437 (Wq.29) :
2e mouvement : Largo mesto

 

Disques :

 

Extrait 1 : Intégrale des concertos pour clavier, volume 1 (concertos H.403 à 405).

Miklós Spányi, clavecin & direction.
Concerto Armonico.
Péter Szüts, premier violon & direction.

1 CD BIS BIS-CD-707.

 

Extraits 2 et 3 : Symphonies. Concerto pour clavecin (H.423), Concerto pour violoncelle (H.432).

Akademie für Alte Musik Berlin.

1 CD Harmonia Mundi HMC 901711 (réédition 2008, sous référence HMG 501711).

 

Extrait 4 : Intégrale des concertos pour clavier, volume 7 (concertos H. 428, 434 & 437).

Miklós Spányi, pianoforte à tangentes & direction.
Concerto Armonico.
Péter Szüts, premier violon & direction.

1 CD BIS BIS-CD-857.

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13 septembre 2009 7 13 /09 /septembre /2009 16:12


Otto SCHOLDERER (Frankfurt am Main, 1834-1902),
Violoniste à la fenêtre, 1861.
Huile sur toile, Frankfurt am Main, Städel Museum.

 

Sans Yehudi Menuhin, qui s’était pris de passion, au point de l’éditer en 1952 et de s’en faire le champion, pour une œuvre alors complètement disparue du répertoire où trônait son illustre frère en mi mineur (opus 64, 1844-45), le Concerto pour violon en ré mineur de Felix Mendelssohn Bartholdy (1809-1847) dormirait peut-être encore dans quelque obscur fond de tiroir. L’audition récente de cette partition, donnée au Festival de la Chaise-Dieu par Giuliano Carmignola et Paul McCreesh, m’a donné l’envie de lui consacrer quelques lignes ici.

 

Aborder Mendelssohn, c’est nécessairement, dans un premier temps, écarter un flot de commentaires bien peu amènes concernant et le compositeur et son legs, oublier les anathèmes, qui ne méritent d’ailleurs pas meilleur sort, de Wagner et Debussy, faire abstraction de toute une tradition interprétative qui s’est obstinée à jouer cette musique de façon souffreteuse, mièvre ou sirupeuse, parfois, hélas, les trois ensemble. Il faut ensuite se souvenir d’une ou deux choses essentielles.
Mendelssohn, outre la chance de naître dans un milieu socialement favorisé sur laquelle on s’appuie parfois encore un peu trop souvent pour expliquer son succès, était non seulement précocement doué pour les arts – la musique ainsi qu’entre autres le dessin ou l’aquarelle – mais également particulièrement curieux, intelligent et obstiné. On voit mal les autorités de Leipzig confier la direction de l’orchestre du Gewandhaus à une mauviette dont le principal talent eût consisté à avoir suffisamment peu de personnalité pour n’être jamais passé de mode.
On rapproche souvent Mendelssohn de Mozart, quelquefois pour des raisons qui n’ont pas grand chose à voir avec la musique elle-même. On sait, bien sûr, l’admiration que le premier portait à son aîné, qu’il considérait comme un modèle et avec lequel il est permis de croire que s’était opéré, en partie, un processus d’identification. Néanmoins, penser comme hégémonique l’influence mozartienne sur l’œuvre de Mendelssohn est une vision abusivement simplificatrice, car s’il est une figure tutélaire qui peut y prétendre à autant d’importance, c’est celle de Bach. Je vois tout de suite certains se frapper sur le front en disant « Bon sang, mais c’est bien sûr ! Felix, le recréateur de la Passion selon Saint Matthieu ! » Eh bien non, ce n’est pas de Bach père dont je parle, même si la découverte de l’œuvre de ce dernier a également été extrêmement importante dans la construction de la manière mendelssohnienne, mais bien d’un de ses fils, Carl Philipp Emanuel (1714-1788), dont Mendelssohn recueillit l’héritage préromantique et ombrageux au travers de l’enseignement de Carl Friedrich Zelter (1758-1832), qui fut son professeur à Berlin dès 1817. Moitié classique, moitié romantique, teintée de fortes réminiscences baroques, l’esthétique mendelssohnienne est donc beaucoup moins univoque que ce qu’on a parfois voulu faire croire.
Le Concerto pour violon en ré mineur est une sorte de parfaite synthèse de tous ces éléments. L’œuvre a été achevée en 1822 – notre compositeur a donc 13 ans – sans doute pour les concerts dominicaux organisés par la famille Mendelssohn à Berlin, pour lesquels le jeune Felix composa également ses douze symphonies pour cordes entre 1821 et 1823 (à découvrir dans l’incontournable intégrale du Concerto Köln, dont vous pouvez écouter un des trois volumes en cliquant ici), qui s’affranchissent, au fur et à mesure de leur progression, de leur caractère d’exercices de style pour faire montre, dans les dernières, d’une maturité déjà prometteuse. On ignore qui fut le violoniste qui tint la partie de soliste, même si certains chercheurs ont postulé qu’il pouvait s’agir de Ferdinand David (1810-1873), ami d’enfance pour lequel Mendelssohn écrira le célébrissime Concerto pour violon en mi mineur, à qui il assurera le poste de premier violon de l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig et qui, après la mort du compositeur, héritera du manuscrit du Concerto en ré mineur. Quoi qu’il en soit, les exigences de la partition attestent que le musicien auquel les solos étaient destinés devait être un virtuose.
Le premier mouvement est celui qui se souvient le plus de CPE Bach. Son caractère résolu, presque emporté par instants, associé à l’emploi de la tonalité de ré mineur nous dit également que Mendelssohn a probablement été, dès son plus jeune âge, en contact avec les compositions du courant, à l’origine littéraire, que l’on a nommé Sturm und Drang (« Tempête et oppression »), dont les explosions véhémentes marquèrent, entre 1765 et 1775 environ, un moment fort de la musique, principalement en terres germaniques, mais aussi dans toute l’Europe, à la notable exception de l’Italie. Dans cet Allegro molto, la lutte entre le soliste, dont la fermeté de la ligne n’exclut pas la tendresse ou la supplique (donc d’inspiration authentiquement romantique), et un orchestre aux unissons menaçants et orageux, relance sans cesse l’intérêt du discours, dont la tension ne connaît aucun relâchement.
À qui tient absolument à trouver du Mozart chez Mendelssohn, l’Andante en ré majeur qui suit ce premier mouvement quelque peu chahuté apportera une intense satisfaction. Paisible et lumineuse, cette page au lyrisme rêveur, à fleur de peau, reste fidèle aux exigences de clarté et d’équilibre de la tradition classique. Cependant, la respiration très ample, l’exaltation fiévreuse que l’on sent par instants sur le point de rompre les digues imposées par les contraintes formelles, sont déjà pleinement romantiques et nous en apprennent beaucoup sur le degré de maturité auquel était parvenu le tout jeune compositeur ainsi que sur la force des émotions qui pouvaient déjà le traverser.
C’est le souvenir de Haydn qui vient s’inviter dans le dernier mouvement, dont l’élaboration thématique est fondée sur une mélodie d’essence indubitablement populaire, comme le maître d’Eszterháza aimait, lui aussi, en employer. L’intérêt de Mendelssohn pour ces timbres parfois rustiques se confirmera dès l’année suivante, puisqu’on retrouve, dans les symphonies pour cordes nos IX et XI des réminiscences d’une chanson et d’un ranz des vaches entendus lors d’un voyage familial en Suisse. Page brillante, enlevée, d’une alacrité rythmique qui invite à la danse, cet Allegro final n’en demeure pas moins plus ambigu que ce qu’une approche superficielle pourrait laisser supposer, les ombres qui présidaient au premier mouvement et le songe éveillé qui embuait le deuxième y passant comme des fantômes.

Page dont le charme et la vivacité font presque oublier à quel point sa construction est pensée avec une intelligence et une maîtrise confondantes chez un musicien aussi jeune, le Concerto pour violon en ré mineur de Mendelssohn, porté par le même souffle que les meilleures de ses symphonies pour cordes contemporaines, inaugure une série de réussites dont on aurait tort de ne retenir que l’Octuor pour cordes (opus 20, que vous pouvez écouter en cliquant ici) composé en 1825. Puisse cette écoute vous avoir donné l’envie de goûter plus longuement les premiers fruits savoureux d’un compositeur dont l’œuvre a eu un impact décisif sur la musique européenne de son temps.

 

Felix MENDELSSOHN BARTHOLDY (1809-1847), Concerto pour violon et orchestre à cordes en ré mineur :

I. Allegro molto
II. Andante
III. Allegro

 

Hiro Kurosaki, violon.
Capella Coloniensis.
Sigiswald Kuijken, direction.

 

Concerto pour violon en ré mineur. Symphonie n°1 (et Schneider, Symphonie n°17 en ut mineur). 1 CD CPO 999 932-2.

 

Le portrait de Mendelssohn présenté dans ce billet est dû à Carl Joseph Begas (dit l’Ancien, Heinsberg, 1794-Berlin, 1854). Il s’agit d’une esquisse préparatoire datée de 1821.

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