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29 avril 2014 2 29 /04 /avril /2014 17:27

 

 

Il est des disques que l'on n'attend pas et à côtés desquels on serait passé sans même s'en rendre compte si notre attention n'avait été attirée dessus. Une nouvelle compilation consacrée à Purcell a de quoi susciter autant de haussements d'épaule que de froncements de sourcils, car outre un manque flagrant d'originalité – ceux d'entre vous qui suivaient déjà l'actualité du disque il y a vingt ans n'ont pu manquer le Pocket Purcell d'Andrew Parrott (Virgin) et l'Essential Purcell de Robert King (Hyperion), deux projets du même genre parus à l'occasion du tricentenaire de la mort du compositeur en 1995 –, le premier mouvement est toujours de se demander si les musiciens n'ont pas mieux à faire que rabâcher le même répertoire que leurs aînés quand les bibliothèques regorgent sans nul doute d'inédits passionnants.

Ces réserves de principe ne tiennent pas longtemps lorsqu'on lance l'écoute du récital que signent Voces8 et Les Inventions et l'on se retrouve, au bout du parcours aux émotions contrastées qu'ils proposent, avec le sentiment que le temps a passé comme un rêve et un vrai sourire sur les lèvres. En dehors des songs qui ne se seraient pas idéalement intégrées au programme, il ne manque à ce dernier aucune des formes vocales dans lesquelles l'Orpheus Britannicus s'est illustré durant sa trop courte carrière : opéras, musiques de scène, odes, anthems, toutes sont réunies pour contribuer à donner un avant-goût à la fois roboratif et stimulant de sa riche production en ouvrant l'appétit pour aller ensuite plus loin dans les découvertes. Du côté des tubes, on trouvera deux extraits du semi-opéra King Arthur (1691), « What power art thou » (le fameux « air du Froid »), confié, comme il se doit, à une basse, en l'occurrence Dingle Yandell qui en livre une lecture glaçante aux lueurs parfois sépulcrales, et la « Fairest Isle » évoquée avec beaucoup de finesse et de sensibilité retenue par la soprano Andrea Haines, mais également le majestueux chœur d'ouverture de l'Ode à sainte Cécile (1692), « Hail ! Bright Cecilia » qui a fini par lui donner son titre, l'air virevoltant « Strike the viol » extrait de l'Ode « Come, ye sons of art » (1694), la dernière des six écrites par Purcell pour l'anniversaire de la reine Mary, ou Thou knowest, Lord, the secrets of our hearts, anthem bourrelé de douleur pudique chanté lors de ses funérailles, moins d'un an plus tard. Pour le public moins au fait du vaste catalogue du compositeur, des pièces telles « By beauteous softness mix'd with majesty », une tendre perle tirée de l'Ode d'anniversaire « Now does the glorious day appear » (1689) offerte avec beaucoup de grâce par le contre-ténor Barnaby Smith, dont l'absence d’afféterie est à saluer, ou « Behold O mightiest of gods » que l'on trouve dans le Masque of Cupid qui referme le semi-opéra The Prophetess or The history of Dioclesian (1690), constitueront probablement, en revanche, de savoureuses découvertes.

L'interprétation s'impose au plus haut niveau, et ce pour plusieurs raisons, dont la première est, bien entendu, les qualités individuelles de chacun des ensembles. Voces8 défend une esthétique vocale indéniablement britannique – cet ensemble est majoritairement constitué de chanteurs ayant été formés au sein du chœur de l'abbaye de Westminster – avec des voix claires et peu vibrées, mais qui n'oublient cependant pas d'être chaleureuses. Elles se marient parfaitement avec le caractère très français des Inventions, dirigées du clavier par Patrick Ayrton, qui trouvent ici à mieux faire valoir leurs couleurs et leur souplesse que dans leur premier disque consacré à des pièces intéressantes mais hélas pas inoubliables de Joseph Touchemoulin. Ce dialogue entre les deux styles nationaux rend parfaitement justice aux inspirations de Purcell, dont on sait à quel point elles ont puisé à l'une et à l'autre. Ce programme est, en outre, porté, du début à la fin, par un même esprit d'équipe, une volonté commune de se mettre au service de la musique avec humilité – l'attitude exactement inverse de celle qui ruinait le récital de Scherzi Musicali consacré à ce répertoire en avril 2013 (Alpha) – et enthousiasme ; les pièces y gagnent une fraîcheur et une immédiateté sensible qu'on ne rencontre pas si fréquemment et qui, parce qu'elles sont soutenues par une véritable intelligence musicale qui ne s'embarrasse pas de problèmes d'ego, sont accueillantes à l'auditeur, quel que soit son degré de familiarité avec Purcell. Saluons, enfin, la qualité de la prise de son qui donne à cette réalisation un corps et une respiration qui renforcent encore sa présence et sa séduction.

 

Quelques semaines après que L'Arpeggiata a déversé, à grands renforts de matraquage publicitaire incompréhensiblement relayé par certains médias dits spécialisés, ses tripatouillages aux chaloupements sirupeux ou aux envolées fadement éthérées sur un public que cet ensemble et ceux qui lui prêtent leur voix prennent visiblement et malheureusement de plus en plus pour un gogo, la rectitude de Voces8 et des Inventions, la confiance qu'ils font à cette musique qu'ils n'ont nul besoin de travestir pour la rendre passionnante et émouvante apparaissent comme une bénédiction, et leur Purcell collection s'impose comme indispensable à la discothèque du débutant, de l'amateur et de tout honnête homme.

 

A Purcell collection Voces8 Les InventionsHenry Purcell (1659-1695), A Purcell collection : extraits d’œuvres profanes et sacrées (King Arthur, Dido and Æneas, Dioclesian, The Tempest, Birthday odes for Queen Mary, Ode to Saint Cecilia, Coronation anthems, Music for the funeral of Queen Mary...)

 

Voces8
Barnaby Smith, direction artistique

Les Inventions
Patrick Ayrton, clavecin, orgue & direction artistique

 

incontournable passee des arts1 CD [durée : 70'18"] Signum records SIGCD375. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien ou au format numérique sur Qobuz.com.

 

Extraits proposés :

 

1. Vidéo : « Strike the viol », extrait de Come, ye sons of art, ode pour l'anniversaire de la reine Mary Z.323

 

2. Audio : « Hail ! Bright Cecilia », extrait de l'Ode à sainte Cécile Z.328

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

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commentaires

C
<br /> J'ai eu l'extrême bonheur d'écouter un concert polyphonique en la Cathédrale de Tulle avec Voces8 et Les inventions lors d'un Festival de la Vézère : le Public planait !!!!! Ils reviennent cette<br /> année et je ne les manquerai sous aucun prétexte. En février je les ai écoutés à La Folle Journée de Nantes : ovation!!! Une perfection so british .. avec l'humour en plus of course !! ;) :D<br />
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J
<br /> <br /> S'ils sont aussi convaincants sur scène qu'au disque, Christiane, ça doit effectivement être quelque chose. En tout cas, ils ont visiblement réussi à mettre pas mal de gens d'accord sur cet<br /> excellent programme Purcell, à la réussite duquel il ne faut pas oublier d'associer Les Inventions, qui sont rien moins que brillants ici.<br /> <br /> <br /> Merci pour votre mot et belle journée !<br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> Personnellement, je ne ronchonne pas, je me dis que si vous vous donnez la peine d'écrire une chronique, c'est qu'il y a de la matière. Jamais vraiment satisfaite de toutes les versions<br /> acquises, je m'étais fixé, il y a bien longtemps,  l'objectif difficile de trier et donc d'éliminer... en vain. Je ne peux toucher à Purcell même si les différentes interprétations proposées<br /> ne me plaisent pas toutes. Et voilà que vous nous proposez une nouvelle compilation ! <br /> <br /> <br /> Ce que j'en entends me ravit et j'attends avec impatience de l'écouter dans son intégralité. Je dois dire que je vous ai lu avant d'écouter les extraits proposés et que vous avez titillé ma<br /> curiosité en relevant, vous, cher Jean-Christophe, la performance d'un contre-ténor ! Et les termes de "tripatouillages aux chaloupements sirupeux" pour qualifier les débordements pathétiques de<br /> C. Pluhar m'ont bien fait rire. Je ne pensais pas qu'elle oserait Purcell. Et non, je ne m'attendais pas à trouver un tel disque de ce merveilleux compositeur et il m'aurait totalement échappé si<br /> vous n'étiez passé par là, une fois de plus. Je ne manquerai pas de l'acheter et, en attendant, je vous remercie pour ce beau et surtout généreux partage. Et merci de contribuer, par vos<br /> chroniques, à la vie, parfois à la survie du disque. <br />
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J
<br /> <br /> Vous avez vu juste, chère Simone, et je vous sais infiniment gré de relever que je n'écris pas avant d'avoir minutieusement choisi mon sujet. Si je n'avais pas reçu ce récital, je ne m'y serais<br /> probablement pas arrêté moi non plus, car je tente de me tenir aussi éloigné que possible de ces compilations qui, depuis nombre d'années, pullulent dès que l'occasion s'offre, voire sans qu'il y<br /> en ait besoin.<br /> <br /> <br /> Il me semble cependant que ce récital offre vraiment l'essentiel de ce qu'il y a à connaître dans l'univers de Purcell, non comme point d'arrivée mais de départ, et qu'il le donne à entendre dans<br /> les meilleures conditions possibles. On est très loin de la malhonnêteté des réalisations de L'Arpeggiata qui aimerait tellement faire prendre ses disques pour ce qu'ils ne sont pas — de la<br /> musique ancienne faite dans les règles de l'art.<br /> <br /> <br /> J'espère que l'écoute de ce disque vous donnera du plaisir – vous me direz ? – et, en vous remerciant pour votre commentaire, je vous adresse de bien amicales pensées.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Purcell m'a toujours impressionné. Même si je ne connais que si peu finalement de son catalogue. Ici, les deux extraits que tu en partages dans cette version d'un équilibre visiblement évident,<br /> conforte mon sentiment. Le choeur d'ouverture de l'Ode à sainte Cécile est, à lui seul, à tomber de sa chaise !<br /> <br /> <br /> Quant au célébrissime "What Power Art Thou", morceau hélas très souvent dénaturé et massacré, nous sommes dès les premières notes happés par la présence vocale superbe de ce chanteur Dingle<br /> Yandell, que soutiennent ces Inventions aux timbres éblouissants !<br /> <br /> <br /> Un grand merci, J.-Ch, passeur éclairant, pour ce beau moment musical "chez toi". Je t'embrasse.<br /> <br /> <br />  <br />
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J
<br /> <br /> Purcell est pour moi un compagnon de longue date, ami Cyrille, puisqu'il fait partie des premiers compositeurs auxquels je me suis sérieusement intéressé, mais j'avoue que mon appétence s'était<br /> quelque peu émoussée au fil des années. C'est pour cette raison que je me suis particulièrement arrêté sur ce disque qui m'a, par bien des aspects, rappelé d'excellents souvenirs de découvertes<br /> et d'émerveillements.<br /> <br /> <br /> Je suis heureux de t'avoir fait participer un peu à mon enthousiasme et je te remercie d'avoir laissé un témoignage du tien ici.<br /> <br /> <br /> Je te souhaite un bel après-midi et t'embrasse.<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Merci Passée. Si les disques se bousculent sur votre bureau, c´est bon signe. De bons moments d´écoute et découvertes en perspective.<br />
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J
<br /> <br /> Tant de disques et si peu de temps, Alba, mais j'espère bien en grappiller assez pour vous faire découvrir un maximum de ces belles choses qui ont élu domicile chez moi.<br /> <br /> <br /> Merci pour votre commentaire et belle journée à vous.<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Est-ce Barnaby qui a déclenché l'hilarité des trois violonistes ? On se dissipe avec Purcell. Trahis par la vidéo.<br />
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J
<br /> <br /> Je me disais bien que ceci n'échapperait pas à ton œil de lynx, chère Marie — j'ai bien ri aussi, je l'avoue. D'ailleurs, ce passage plein d'humour illustre assez bien l'ambiance générale de ce<br /> disque <br /> <br /> <br /> <br />